ORAY
Lors d’une dispute, Oray répète trois fois le mot talâq à sa femme Burcu ce qui, dans la loi islamique, signifie la répudiation. Fervent pratiquant, il va chercher conseil auprès de l’imam de sa ville qui lui impose une séparation de trois mois. Il profite de cette décision pour partir vivre à Cologne et y construire une nouvelle vie pour Burcu et lui. L’imam de sa nouvelle communauté, ayant une vision plus rigoriste de la loi islamique, lui intime de divorcer. Oray se retrouve alors tiraillé entre son amour pour sa femme et sa ferveur religieuse.
Critique du film
Fort de son prix de meilleur premier film à la Berlinale 2021, l’équivalent de la caméra d’or cannoise, Oray de Mehmet Akif Büyükatalay, arrive dans les salles françaises dans un contexte où les films indépendants sont tous fragiles et ont beaucoup de mal à trouver sa place. Ce contexte peu propice doit pourtant laisser une place à un beau premier geste comme celui du jeune réalisateur germano-turc, désireux de représenter une histoire d’amour au sein d’une communauté très hétérogène. Oray est le prénom d’un homme, allemand d’origine ottomane et madédonienne, qui a trouvé sa rédemption par l’islam. Après un passage en prison pour vols à répétition, il n’a pu se relever qu’en devenant pieux jusqu’à l’extrême.
Le point de bascule provient d’une dispute au téléphone avec sa femme, Burcu, beaucoup plus libérale et intégrée dans la société contemporaine. Le mot « talaq » prononcé trois fois lors de cette querelle est lourde de conséquences pour un homme religieux, elle le force à se séparer de son épouse et à trouver refuge à Cologne, loin de leur ville de Hagen. Le réalisateur donne par tous ces détails une radiographie de l’étendue des différences au sein de la communauté musulmane. Tout d’abord dans le rapport à la religion, de nombreux jeunes sont montrés comme volages, aimant consommer de la drogue ou de l’alcool de façon récréative, ne s’arrêtant pas aux préceptes de leur religion.
Oray travaille au sein même de la mosquée du quartier qu’il rejoint. C’est par ce biais qu’il trouve un logement, celui d’un cousin d’un des membres de la congrégation, parti faire des études à l’étranger. Les notions d’entraide et de contrôle sont montrées comme très fortes, chacun étant censées veiller sur l’autre, sans contact avec le reste de la société, comme en vase clos. L’imam de cette mosquée est encore plus dur que son homologue de Hagen : pour lui il n’est plus possible de fréquenter sa femme, désignée comme impure après la prononciation des trois mots funestes. Ce qui n’était qu’une séparation de quelques mois deviendrait alors permanente.
Cologne est aussi l’occasion de montrer la diversité des origines au sein de ces musulmans allemands. Certains ont des parents venant du Kosovo, de Macédoine, d’autres de Turquie, et leur rapport à la religion varie grandement en fonction de leur assimilation au sein de la société allemande. Burcu ne comprend pas la ferveur de son mari qui refuse de régler leurs différents autrement que par l’entremise des imams. La situation devenue impossible va faire craquer les coutures de cet attachement radical d’Oray jusqu’à une rechute dans la délinquance une fois le vernis pieux écaillé pour de bon.
La diversité exposée par Mehmet Akif Büyükatalay est un modèle du genre, donnant des visages à celles et ceux qu’on a trop souvent l’habitude de regrouper en une masse trop uniforme. Le zèle d’Oray montre également les lignes de force au sein même de sa communauté, les jalousies que cela exacerbe. Ce personnage beau et complexe est tiraillé entre les plus fêtards qui adulent son parcours, et les plus religieux qui jalousent son charisme et son aura auprès des plus jeunes. Cette difficulté à trouver sa place au sein d’une famille ou d’une communauté a presque une valeur universelle tant elle interroge cette question de l’identité qui est devenue si problématique.
Au delà de ces considérations sociologiques et même politiques, se cache une histoire d’amour elle aussi très belle et bien écrite, où brille le personnage de Burcu, qui hante à la fois les mots d’Oray, mais aussi les scènes où elle apparaît, de Hagen à Cologne. La modernité qu’elle incarne, en tant que femme mais aussi en tant que musulmane, est un très beau portrait de femme, résolument lumineux dans son approche. Si le film reste fragile par instants, il demeure intéressant et pertinent grâce à son écriture et sa mise en scène soignée, qui par séquences fait penser à ce cinéma roumain actuel que l’auteur avoue beaucoup aimer, car emprunt d’un besoin de raconter le réel dans toutes ses aspérités.
Bande-annonce
27 octobre 2021 – De Mehmet Akif Büyükatalay, avec Zehjun Demirov, Deniz Orta et Cem Göktas.