OUISTREHAM
Marianne Winckler, écrivaine reconnue, entreprend un livre sur le travail précaire. Elle s’installe près de Caen et, sans révéler son identité, rejoint une équipe de femmes de ménage. Confrontée à la fragilité économique et à l’invisibilité sociale, elle découvre aussi l’entraide et la solidarité qui unissent ces travailleuses de l’ombre
De doux moments de vie, dans un réel rude et parfois brutal.
Critique du film
Marianne, le personnage principal de Ouistreham, n’est pas Florence Aubenas. Elle est écrivain – sans e, comme elle le dit dans le film. Un métier qu’elle partage avec le réalisateur du long-métrage, qui est lui-même resté proche du journalisme dans nombre de ses démarches littéraires : Emmanuel Carrère, dont l’œuvre est si personnelle, et qui a certainement su se retrouver dans le projet total de Florence Aubenas. Qui l’admire, sans doute aussi.
Le projet, pourtant, vient de Juliette Binoche. La comédienne le porte depuis plusieurs années, nous apprend le réalisateur. C’est Aubenas qui aurait glissé son nom face à la persistance de l’actrice, ajoute-t-il. Binoche, bien qu’actrice principale, n’est pour autant pas forcément au centre du film. Au contraire, elle trouve sa place au milieu d’acteurs non-professionnels, tous excellents, qui témoignent en un sens de leur propre réalité. Hélène, Marilou, Justine, Michèle et Cédric sont autant de dérivés fictionnels des comédiens.
Marianne-Binoche noue une relation avec Christèle (incarnée par Hélène Lambert, impressionnante). L’occasion pour Carrère de filmer quelques scènes intimes où elles improvisent et rayonnent, que ce soit dans une voiture ou à bord du ferry où on exploite les agents d’entretiens.
Écrivain médiatique, visiblement aisée sans que cela ne soit trop discuté, Marianne décide de partir et d’écrire. Elle le fait pour « faire voir » et rendre compte. Carrère emmène le film sur le terrain de la fiction, en donnant à son personnage une approche plus profonde, dans laquelle elle noue des liens avec ceux dont elle voulait comprendre le quotidien. Elle établit naturellement une intimité avec une de ses collègues, ce que ne fait pas Aubenas. En servant l’intrigue, cela interroge la limite de l’immersion. Le risque pour Marianne, plutôt que de se voir proposer un CDI, c’est de partager un moment intime. Créer du vrai, sur du faux. Une trahison que Carrère met très bien en scène.
Bande-annonce
12 janvier 2022 – D’Emmanuel Carrère, avec Juliette Binoche, Hélène Lambert et Léa Carne.
Film d’ouverture de la Quinzaine des réalisateurs // Cannes 2021