PASSAGES
L’histoire de deux hommes qui sont ensemble depuis quinze ans et ce qui se passe quand l’un d’eux a une liaison avec une femme.
Critique du film
Scène de nuit, intérieur, la figuration entre dans le plan, un jeune homme doit descendre nonchalamment les escaliers pour gagner le comptoir et commander à boire. Il est repris de volée par le metteur en scène qui lui assène en anglais des directives. C’est la fin du tournage du film « Passages », dirigé par Thomas, cinéaste allemand installé à Paris depuis plusieurs années. Il est en couple avec Martin, joué par Ben Whishaw, et se retrouve au lit avec Agathe, qui lui a tenu compagnie sur la piste de danse après son départ. C’est à partir de cette installation que nous rejoignons l’univers du nouveau film d’Ira Sachs, où règne Franz Rogowski en maître incontesté. Il est de tous les plans, de tous les désirs, et ce sont ses atermoiements qu’on suit d’un bout à l’autre de cette histoire assez inhabituelle. Si Ira Sachs a eu pour habitude de filmer la communauté gay, comme dans Love is Strange (2014) où l’on suivait le couple formé par Alfred Molina et John Lithgow, il le dynamite ici pour ajouter une femme à son équation.
Adèle Exarchopoulos joue cette personne avec laquelle Thomas joue dans une course assez hallucinante aux rebondissements où se déploie de nombreux changements d’avis chez le protagoniste principal. L’inconstance et l’antipathie de Thomas jouent en permanence contre le film, l’empêchant de tenir un propos et un équilibre qui n’existeront jamais. Les deux hommes se séparent, se réconcilient, mais Agathe est toujours présente et même utilisée par le réalisateur pour servir un projet qui la dépasse : fonder une famille aux visages multiples où tous et toute seraient parents d’un enfant qu’elle devrait mettre au monde. Monté sur son vélo, Thomas passe de l’une à l’autre, sans jamais véritablement savoir où il va, malheureux quoi qu’il advienne, semant ses humeurs dans les appartements où il décide d’établir domicile, à plus ou moins long terme.
Une scène montre ce qu’aurait pu être le film, lors de la rencontre entre Thomas et les parents d’Agathe. Inquiets à l’annonce de la grossesse de leur fille, ils veulent rencontrer le futur père pour s’assurer qu’il va partager le poids d’une naissance et ne pas la laisser seule pour le porter. Confronté à ses contradictions, quittant la table et le plan pour réapparaitre et plaider sa cause, mentir également, ce sont toutes les facettes du personnage qui se développent, le montrant à nu, loin des masques qu’il revêtit en permanence pour conquérir les objets de son désir. Dans ce dialogue tout simple, il y a à la fois de la caractérisation pour les personnages, mais aussi une mise en abime redoutable qui fait briller les acteurs et actrices de la scène. Cette intensité palpable ne se représente jamais par la suite, sauf peut être dans un des derniers instants où Martin congédie pour de bon celui qui est désormais son ex-mari.
Ben Whishaw si effacé jusqu’ici, prend une autre dimension qui fait regretter que le reste de l’histoire ne soit pas écrite avec les mêmes intentions. Au lieu de cela, le film se termine sur un moment de fuite assez grotesque, à l’image de nombreux dialogues où le personnage de Thomas, de metteur en scène à caractère, devient un homme ridicule à la limite du guignolesque ou du grotesque. Il est, dès lors, bien compliqué de cerner quelles furent les intentions de ce projet, qui de toutes les manières ne les aura pas atteintes vu le manque de cadre et de direction de l’ensemble. Il y avait pourtant mieux à faire avec un tel casting et un tel réalisateur qui avait montré par le passé toutes ses qualités d’artiste de la scène indépendante étasunienne.
Bande-annonce
28 juin 2023 – De Ira Sachs, avec Franz Rogowski, Ben Whishaw et Adèle Exarchopoulos.
