PASSION
La ficheRéalisé par Ryusuke Hamaguchi – Avec Aoba Kawai, Ryuta Okamoto, Fusako Urabe…
Japon – Drame – Sortie : 15 mai 2019 – Durée : 115mn
Synopsis : Un jeune couple annonce son mariage lors d’un dîner entre amis. Les réactions de chacun vont révéler des failles sentimentales jusque-là inexprimées au sein du groupe.
La critique du film
Si le grand réalisateur coréen Hong Sangsoo a vu tous ses films distribués en France, peu de ses confrères orientaux sont dans le même cas. Que ce soit ses compatriotes Park Chanwook ou Bong Joonho, les premiers films des prodiges asiatiques restent souvent invisibles dans les salles obscures, comme autant de pépites à découvrir lors d’une éventuelle rétrospective de leurs œuvres enfin célébrées, des années après leur réalisation.
C’est aussi le cas de Passion, sorti au Japon en 2008, film de fin d’étude de Ryusuke Hamaguchi, révélé en occident avec Senses (2015) primé au festival de Locarno, puis avec Asako 1&2 (2018) sélectionné en compétition officielle à Cannes. La distribution de Passion est donc tout d’abord une chance, grâce à l’audace de la société Art House, et une possibilité d’approfondir notre regard du talent d’Hamaguchi, déjà très visible dans ce premier essai.
Comme une offrande
Passion démontre le goût prononcé du réalisateur pour le travail d’écriture autour de ses personnages. L’intrigue se concentre sur un petit groupe, majoritairement composé de couples, qui vont progressivement se désintégrer, se déconstruire, présentant leurs failles et leurs questionnements de vie au spectateur.
En cela le film est particulièrement verbeux, utilisant les mots presque de manière ludique. Chaque discussion commence dans une situation banale, une annonce de mariage, des thématiques sans grand intérêt, qui se précipitent rapidement vers un conflit remettant en cause l’équilibre de chacun. Ainsi le couple marié et en apparence heureuse rencontre les amants occasionnels, les désirs de chacun se dévoilant et s’entrechoquant au hasard d’un jeu de question plus pervers qu’on ne pouvait l’imaginer. Cette scène où quatre personnages doivent dire la vérité sur des questions personnelles impulse des directions passionnantes au film.
Cette option chaotique dans les relations humaines, jusqu’à parfois la violence, fait beaucoup penser au cinéma de John Cassavetes, notamment à Opening night (1977) où la folie de Gena Rowlands créait un effet vertigineux et perturbant qui ne s’arrêtait que dans les ultimes instants, le spectacle reprenant toute la place.
Entre Cassavetes et Rohmer
Cette folie là est également matinée d’une veine toute « rohmérienne » dans les relations amoureuses. Un amant vient rencontrer sa promise chez elle, croise un de ses amis, repart en courant dans la nuit, quand un autre offre son cœur et son âme à celle qu’il aime en secret. S’il on est proche d’Eric Rohmer, il est évident que ces dernières scènes laissent également à penser au Dostoïevski de Nuits blanches.
La temporalité du film est contenue toute entière sur quelques nuits, qui ne semblent devoir s’éteindre, se dévoilant heure après heure toujours dans la surprise. Kaho écoute Kenichiro lui avouer son amour, et l’espace d’un instant elle espère pouvoir lui retourner ce sentiment. Le dénouement, comme chez Rohmer avec Conte d’hiver (1991), était pourtant réglé d’avance, il est question ici d’amour fou, déterminé. Les dialogues d’Hamaguchi, de très bonne qualité, sont autant de diversions qui nous ramènent pourtant à l’issue inéluctable. Comme souvent la folie ne dure qu’une nuit, l’ordre reprend son magistère dès le petit matin, les esprits se calment pour laisser toute la place aux structures existantes.
Tout ce que réussit Ryusuke Hamaguchi avec ce film de fin d’études est prodigieux : sa structure narrative ne fléchit jamais, chaque dialogue et situation présentée est précise, tout droit tournée vers la conclusion, la fatalité du matin. D’une certaine façon Passion est même plus abouti que les films récents de l’auteur japonais. Moins évaporé que sur Asako, on retrouve cette intensité redoutable dans les scènes de dialogues, où il ressort systématiquement un point de bascule où se révèlent les personnages. Ce talent est la marque même du réalisateur qui démontre un certain génie pour densifier chacun et les déstabiliser au sein de scènes dont on ne sait jamais à l’avance dans quel sens elles vont tourner. Entre références marquées et dialogues ciselés, Passion est un brillant premier essai dans lequel on a envie de se replonger encore, en attendant le prochain film d’Hamaguchi pour y déceler de nouveau tout ce talent d’écriture et de mise en scène.