PENDANT CE TEMPS SUR TERRE
Elsa, 23 ans, a toujours été très proche de son frère aîné Franck, spationaute disparu mystérieusement 3 ans plus tôt au cours d’une mission spatiale. Un jour, elle est contactée depuis l’espace par une forme de vie inconnue qui prétend pouvoir ramener son frère sur terre. Mais il y a un prix a payer…
Critique du film
Grand prix de la Semaine de la Critique en 2019 et César du meilleur film d’animation l’année suivante, J’ai perdu mon corps avait fait connaître le nom de Jérémy Clapin et créé une attente légitime pour ses futurs projets cinématographiques. Son premier long-métrage en prises de vue directes est en soi un petit événement, qui plus est dans une thématique assez marginale en France, celle du cinéma de l’imaginaire. Pendant ce temps sur Terre voit Franck, un spationaute français, être porté disparu pendant une mission. Sa famille est durement touchée par cette perte. Sa sœur Elsa, jouée par Megan Northam, est inconsolable, incapable d’avoir des projets ou de trouver goût à une vie sans son frère aîné.
Jérémy Clapin aborde le genre de la science-fiction avec beaucoup de sobriété, montrant peu d’effets tapageurs, et une grande pudeur dans son approche. L’accent du film est porté sur le traumatisme, non sur un deus ex machina qui viendrait emporter le film vers des extrémités difficiles à représenter. S’il y a une rencontre du troisième type ici, elle demeure invisible, se matérialisant par une voix dans la tête d’Elsa, la forçant à faire des choix difficiles, pour ne pas dire impossibles. L’immoralité de ce que lui demandent ces êtres mystérieux, ceci dans un laps de temps réduit qui dynamise l’histoire, est le sel de cette fiction qui joue avant tout la carte de l’émotion. Franck lui-même n’est qu’aperçu, plus présent par sa voix qui ouvre le film, que par un visage ou une présence physique particulière. Le son est donc le guide principal de la narration, ainsi que le visage d’Elsa, véritable véhicule pour le spectateur.
L’auteur s’amuse avec les codes du genre, ceux notamment de l’invasion, comme dans L’invasion des profanateurs de sépultures de Don Siegel, où l’on voyait une population remplacée par des êtres extra-terrestres pendant leur sommeil. Il n’est pas question de ça dans Pendant ce temps sur Terre. Il ne s’agit que d’un petit groupe de personnes, cinq en tout, qui jouent leur survie de la même façon que Franck, tous comptant sur la rapidité d’action de la seule Elsa. Est-ce qu’une vie vaut plus qu’une autre ? Jusqu’où irait-on par amour ? Dans son incapacité à vivre dans un monde qui ne contiendrait pas son frère, Elsa n’est qu’une coquille vide qui a abandonné tous ses rêves, se contentant de se mouvoir sans but. La métaphore de la possession est déjà contenue dans ce vide qui caractérise le fort intérieur de la jeune femme.
Dans le nouveau film de Jérémy Clapin, on ne meurt pas véritablement. Au lieu de ça, on se met à rêver, on s’imagine quelque chose de positif, et on y dérive éternellement. La poésie de ce message de vie contraste avec la violence du dernier tiers du film où l’on voit Elsa prendre des décisions lourdes de sens avec une énergie du désespoir proprement bouleversante. La rapidité des plans, leur enchaînement, rend à merveille cette accélération de l’action et le temps qui manque au personnage pour faire mieux. Si l’auteur n’abuse pas d’effets spéciaux, il a l’intelligence de se tourner vers de splendides séquences animées, qui nous rappelle la puissance des images de son premier film. L’imaginaire se déploie par l’animation, dépassant le cadre corseté de la prise de vue directe, pour rêver plus grand, comme un programme du film déjà évoqué.
Jérémy Clapin signe avec Pendant ce temps sur Terre une fiction magnifique d’une simplicité incroyable, qui se sert du cinéma de genre pour raconter une histoire intime, sans jamais en faire trop. Pas d’humour intempestif ici, mais plutôt de la justesse et une économie de moyens qui atteste de toute l’intelligence du metteur en scène qui puise dans son script et ses qualités techniques, le dessin, pour délivrer un bijou de sensibilité.
Bande-annonce
3 juillet 2024 – De Jérémy Clapin, avec Megan Northam, Catherine Salée et Sam Louwyck .