PHANTOM THREAD
Années 1950, environs de Londres. Reynolds Woodcock est un couturier de renom habillant la fine aristocratie britannique et européenne. Personnage strict et exigeant, sa vie millimétrée va être bouleversée lorsqu’il tombe amoureux d’Alma, simple serveuse de province…
Quoi que tu fasses, fais le avec soin.
À noble art, noble plume. Les films de Paul Thomas Anderson se prêtent souvent au jeu de la noblesse. Dans son sens de soin, d’attention consciencieuse au détail et de préciosité maladive. C’est ce qui en fait leur force et leur faiblesse. C’est ce qui provoque leur admiration respectueuse (forcément, lorsqu’on contemple le raffinement) ou leur indifférence distanciée (forcément, lorsqu’on subit la condescendance). La noblesse est au cœur plus que jamais de Phantom Thread. Elle est dans chaque robe cousue sur mesure par Reynolds Woodcock, nom Cumberbatchement ridicule pour un personnage qui en hait l’idée au point de s’en ponctionner une part de son humanité – la part sociale, bien sûr, quelle autre part sinon qu’elle pour insinuer le pire en chaque être humain.
Monsieur Woodcock confectionne donc des robes pour les hautes dames de ces hautes sphères. Monsieur Day-Lewis signe ici son chant du cygne dans un rôle qui lui sied à merveille, au point de lui autoriser de s’exprimer avec son accent anglais véritable – une première, anecdote extraordinaire, depuis 1988 et le film Un Anglais à New York. Il campe ici la synthèse parfaite, non de ce qu’il est à la ville, visage qui intéresse peu, mais de ce qu’il inspire dans l’imaginaire collectif. Un personnage exigeant, envers les autres autant qu’envers lui même, si hautain qu’il en serait presque enfantin. De la contradiction de ces personnages qui ont tout bâti de leur génie, mais dont l’équilibre ne tient qu’à peu de choses.
Le poison et le venin
Le génie n’est jamais l’unique prisme de lecture de Paul Thomas Anderson. Souvent confrontés à des mondes doux-amers au mieux, chaotiques au pires, violents dans la constante, Phantom Thread semble dans ses prémices s’éloigner de ces terribles ténèbres. Voilà donc Monsieur Woodcock au paroxysme de l’idéal British : l’effacement total, par l’ordre et la convention, de l’inconfortable. C’est pourtant de l’aléa personnifié dont il tombe amoureux au détour d’une escapade en campagne : Alma, une serveuse maladroite, spontanée et sans manières, interprétée par une extraordinaire Vicky Krieps dont les adieux de Day-Lewis éclipseront un peu tristement une performance subtilement dantesque. Elle représente tout ce que Woodcock n’a jamais été permis d’être, d’abord, puis tout ce qu’il s’est refusé à être, ensuite. Qui se ressemble s’assemble ; qui s’oppose s’attire, et en romance, l’attraction magnétique est tout de même un élément vocabulaire bien plus séduisant que l’assemblage mécanique.
L’homme, et c’est peut être ce qui le définit le mieux, sous-estime toujours à quel point il peut renier ses plus ardents désirs lorsque se greffent à eux le poids de la responsabilité et de la quotidienneté. Aux joies perpétuelles de la découverte s’opposent les fardeaux de l’habitude. Phantom Thread devient un jeu du chat et de la souris, Woodcock et Alma récitant la chorégraphie asynchrone d’un opéra dissonant qui résonne de plus en plus fort entre les murs du manoir reculé de Monsieur. L’habitude, elle détruit tout, consume tout, ne transforme rien si ce n’est qu’elle pourrit. Vipère, c’est elle qui corrompt les tendres maladresses en éructations sonores, les signes de noblesse en égoïsme ostentatoire. Ou plus humblement, la passion en jalousie, l’amour en haine.
C’est là le cœur du film et du propos de Paul Thomas Anderson et de ce Phantom Thread. La violence n’est pas une faune, ni une flore : elle n’a pas besoin d’être nourrie, ni soignée, ni cultivée. Elle est une réaction chimique, ni créée, ni perdue, mais issue de tout. L’idée pourrait être d’un fatalisme assommant : PTA n’en oublie heureusement pas le caractère cyclique, et rappelle parfois qu’aussi effrayantes soient les vagues de haine, les défier du regard, c’est profiter de la douce écume qui succède au fracas. Ainsi, les paradoxes n’en sont plus, et dans un geste digne des plus grandes dramaturgies classiques, là est définie la vie humaine : comme une lutte permanente entre des forces contraires, en nous et hors nous. Ou plus humblement, on ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs.
La fiche
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