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PIERCE

Deux frères se retrouvent après que l’aîné a été libéré de prison et que son cadet, une étoile montante de l’escrime, a choisi de soutenir son frère, ce qui va à l’encontre des souhaits de leur famille, en particulier de leur mère.

Critique du film

La magie des co-productions est parfois des plus étranges. Pierce, le premier long-métrage de la jeune réalisatrice singapourienne Nelicia Low, doit autant à son île natale qu’à Taïwan, où se déroule l’histoire du film, mais également, et c’est plus inattendu, à la Pologne qui, outre une partie du financement, a apporté de nombreux techniciens sur le tournage. La prestigieuse école de cinéma de Lodz est, en effet, un nom qui voyage au-delà de ses frontières, ce depuis le début du XXème siècle, ayant formé plusieurs générations de grands cinéastes. La qualité de la photographie issue de cette école se ressent dès les premiers instants dans Pierce, le soin apporté au travail de l’image sautant aux yeux.

Singapour se développe décidément selon le souhait formulé par Anthony Chen, celui de raconter les histoires de cette nation, dans la langue chinoise qu’il prophétisait en voie d’extinction devant le choix de privilégier l’Anglais. Si le film se déroule à Taipei, la capitale de cette Chine nationaliste isolée face au géant du continent, il irradie de la relation vécue par la cinéaste avec son propre frère, atteint d’une forme d’autisme. La fascination et l’amour, qui unit les deux frères de Pierce, se nourrissent autant de l’histoire personnelle de l’autrice que son amour de l’escrime, toile de fond et prétexte pour souder cette fratrie séparée par un drame. Zijen et Zihan sont liés, outre leur lien familial, par une scène d’enfance, qui a vu l’aîné sauvé son cadet de la noyade. Cet accident ne cesse de revenir dans la narration, affirmant ou affaiblissant leur lien selon les scènes.

Si l’on peut reprocher au film sa faiblesse dans les transitions, tournant inlassablement autour des mêmes motifs (le sang, le meurtre et l’abandon), le regard lourd porté par Zijen sur son frère, entre amour et haine, ne cesse de fasciner et de questionner. Si cet amour fraternel est beau, il est dégradé et lesté par des phrases assassines de la mère des deux frères, qui condamne très tôt son premier né, faisant de lui un monstre dont la nature serait un mal absolu, qui menace d’engloutir Zijen, trop bon et aimant pour son propre bien. Nelicia Low joue avec nos perceptions et notre capacité à épouser le point de vue de son personnage principal. À l’instar de Zijen, tout est orchestré pour nous faire croire à l’innocence de Zihan, à sa rédemption et son honnêteté.

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L’écriture du personnage est en ce sens très habile et pertinente, les sourires peuvent être ici interprétés soit comme une confirmation de la nature diabolique de Zihan, soit comme une preuve de son humanité bafouée qui ne demande qu’une seconde chance que personne ne semble vouloir lui accorder. Jusque dans les derniers instants, la cinéaste superpose une nouvelle strate d’événements et de croyance qui sont autant de remise en question de ce que l’on tenait pour acquis. Tant que Zijen croit en son frère, il est possible de le suivre sur ce chemin escarpé jonché de corps et de morts. Cette ambiguïté est tout le sel d’une intrigue qui refuse de se livrer, jusqu’à abandonner complètement de juger ses personnages, l’amour accordé aveuglément étant plus important que toutes autres considérations morales.

Pierce peut apparaître comme un récit trop naïf manquant cruellement de rebonds dans son écriture, mais il fonctionne pourtant extrêmement bien grâce à ses deux acteurs principaux, qui permettent à l’ensemble de fonctionner au delà des imperfections du film. Zihan peut même être compris comme la part d’ombre de Zijen, un avatar maléfique recroquevillé dans le jeune homme qui n’ose pas être lui-même face à sa famille ou ses camarades d’escrime. En ce sens, il faut souligner la qualité de l’intrigue autour de l’orientation sexuelle de Zijen, qui ne s’assume que devant ce frère qu’on lui interdit de fréquenter et d’aimer. De l’ombre à la lumière, il n’y avait qu’un pas.


De Nelicia Low, avec Tsao Yu-NingHsiu-Fu LiuNing Ding


Festival de La Roche-sur-Yon