PINOCCHIO
Geppetto, un pauvre menuisier, fabrique dans un morceau de bois un pantin qu’il prénomme Pinocchio. Le pantin va miraculeusement prendre vie et traverser de nombreuses aventures.
Critique du film
Pour le dixième film de sa carrière, le réalisateur italien Matteo Garrone a choisi de nous raconter l’histoire de la plus célèbre des marionnettes : Pinocchio. À première vue, difficile d’imaginer le réalisateur de Gomorra (2008) et Dogman (2018) aux manettes d’un conte pour enfants. C’est oublier qu’en 2015, il nous offrait déjà une incursion dans cet univers avec le magnifique Tale of Tales d’après un recueil du XVIIème siècle de Giambattista Basile. Certes, celui-ci s’adressait d’abord aux adultes mais le sens de la narration et le fantastique étaient déjà au rendez-vous.
Fasciné par les aventures du pantin de bois depuis sa plus tendre enfance, Garrone n’est donc pas en terrain inconnu et il s’inscrit dans une longue tradition d’adaptation. La première à voir le jour remonte à 1911 et depuis on ne les compte plus. Le réalisateur italien avoue par exemple avoir été profondément marqué par celle de 1972 par son compatriote Luigi Comencini. Mais celle que tout le monde retient est bien évidemment la version de Disney (1940). L’impact du classique d’animation a été tel qu’il a même quelque peu effacé des souvenirs le nom de celui à qui l’on doit Pinocchio : Carlo Collodi.
Réappropriation
Matteo Garrone s’applique à corriger cette injustice et rend hommage à l’auteur italien du XIXe siècle en proposant une adaptation littérale de son œuvre. Si de nombreux moments paraissent inédits, et passeraient presque pour des libertés pour quiconque a grandi avec le film Disney, ils sont en réalité le symbole d’une réaffirmation du conte par un auteur italien fidèle aux écrits de Collodi. Au-delà de cette volonté de réappropriation culturelle, Garrone trouve aussi un univers qui lui correspond dans cette histoire peuplée de personnages pittoresques, marginaux et rêveurs. Un monde en apparence merveilleux où l’humanité côtoie le grotesque et la cruauté. Cette dernière n’est pas feinte puisqu’au cours de ses aventures, Pinocchio manque tour à tour d’être brûlé, pendu et noyé !… Et tout ça sans l’ombre de la mafia sicilienne dans les parages.
Toujours dans un souci de fidélité à l’œuvre originale, le réalisateur a choisi de découper son récit en chapitres. Outre un renvoi évident au conte, cela présente aussi l’intérêt de mettre en relief les différents épisodes des aventures de Pinocchio et les morales à en tirer. Et, chose rare de nos jours, le temps est donné aux personnages pour se dévoiler, s’exprimer et surtout, évoluer. L’apprentissage de la vie via les leçons qu’elle nous enseigne, parfois cruellement, en est que plus saisissante. À la manière du menuisier Geppetto qui travaille de ses mains le bois qu’il chérit tant, Matteo Garrone peaufine son film comme un artisan, et traite la matière entre ses mains avec le plus grand soin.
À ce titre, son Pinocchio semble plus réel que jamais. Le bois dont il est fait s’anime littéralement sous nos yeux. Cette réussite tient sans doute au choix judicieux de faire jouer un enfant en direct sur le plateau pour interpréter le pantin, plutôt que de faire appel à un double 100% numérique. Malgré quelques retouches par ordinateur, Federico Ielapi, qui joue Pinocchio, s’est prêté à de longues séances de maquillage quotidiennes. Le jeune acteur de huit ans apporte sa malice et son insouciance, et surtout la vie nécessaire à l’empathie pour le personnage.
Le film n’est pas pour autant dénué d’effets spéciaux, seulement ceux-ci sont utilisés avec parcimonie et toujours au service de l’histoire. On retrouve la patte artisanale qui était déjà à l’œuvre dans Tale of Tales, et on ne peut que s’en réjouir devant la beauté des maquillages, mais aussi des décors et paysages, lesquels redonnent vie à une Toscane rurale aujourd’hui disparue.
Le film présente aussi un contraste intéressant entre d’un côté, la dureté de ce monde paysan désargenté, et de l’autre, la magie et le folklore d’un conte. Une dimension baroque où la réalité rencontre le fantastique des monstres, des bêtes de foires et autres fées. C’est d’ailleurs sur cette rudesse de l’époque que le film s’ouvre (non sans humour), porté par un Roberto Benigni absolument fantastique en Geppetto usé, le visage marqué par la misère. Qui d’autre que lui pouvait être aussi drôle et émouvant dans la peau de ce menuisier affamé et désespéré ? Cette évidence est d’autant plus amusante quand on se rappelle qu’en 2003, c’est lui qui interprétait Pinocchio dans son propre film.
Avec son film, Matteo Garrone nous rappelle qu’il est encore possible d’offrir un grand spectacle, doublé d’une œuvre poétique et sincère à la fois. L’absence de cynisme est ainsi particulièrement appréciable. Le réalisateur reste fidèle à son fil conducteur sans jamais avoir recours à des clins d’œil référentiels dispensables, comme trop de films le font, dans le but notamment d’accrocher artificiellement les adultes. De la même manière, il évite l’écueil, lui aussi trop fréquent, des gags régressifs censés provoquer les rires réflexes des enfants. Une vulgarité commode qui n’est souvent que le symbole d’un mépris pour ceux à qui le film est destiné. L’histoire se suffit à elle-même, et son universalité la rend transgénérationnelle.
Pinocchio est un film qu’il faut voir si possible en version originale, tant il est le fruit de toutes cette histoire et ces traditions qui font la culture italienne : les marionnettes, la commedia dell’arte, le cinéma de Fellini… Et la langue, la mélodie des mots, participent à cette italianité ancrée au plus profond du film. C’est avec un plaisir immense que l’on voyage dans cette Italie et que l’on suit les aventures de ce pantin espiègle.
Matteo Garrone nous invite à redécouvrir l’incroyable richesse du conte de Collodi, de la quête d’identité de Pinocchio à celle de paternité pour Geppetto. Un récit initiatique à la fois drôle et émouvant qui n’est rien de moins que l’une des plus belles adaptations qui soient du genre.