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POMPO THE CINEPHILE

Bienvenue à Nyallywood, la Mecque du cinéma où Pompo est la reine des films commerciaux à succès. Le jour où elle décide de produire un film d’auteur plus personnel, elle en confie la réalisation à son assistant Gene. Lui qui en rêvait secrètement sera-t-il à la hauteur ?

Critique du film

Hollywood, en bonne machine industrielle, a connu et connaît toujours son lot de critiques, et d’analyses de son fonctionnement. Elle a même, dès ses débuts, organisé sa propre mise en scène, avec les innombrables films de coulisses et de tournage. Le cinéma d’animation, frère turbulent de la prise de vue réelle, a repris le commentaire sous un ton parodique. À la télévision américaine, des Looney Tunes aux Animaniacs, c’était Hollywood comme système qui était tourné en dérision, en s’attaquant à l’image des stars intouchables comme à celles des producteurs tyranniques. Le regard japonais contemporain de Pompo the Cinephile sur le sujet est néanmoins tout autre : l’objectif n’est pas d’en critiquer les mécanismes mais d’investir la surface de rêve que ce système se donne, et de surfer sur cet imaginaire d’industrie parfaitement huilée pour déployer son récit – avec ce que cela implique de mise au pas du rythme de narration et de la réalité.

Les premières images sur les collines vertes où trônent les lettres blanches de Nyallywood cadrent immédiatement l’approche du long-métrage : un Hollywood partiellement dilué par l’univers global de la japanimation, suffisamment pour se permettre quelques excentricités – les statuettes des Oscars ont une forme de chat, Pompo la productrice de génie a l’apparence d’une écolière en couettes –, tout en gardant les contours réalistes de la production de films, tels que nous les connaissons. Le portrait du système se fait à travers la présentation de la dernière série B supervisée par Pompo et son jeune assistant Gene, qui pose les premiers jalons de ce que le long-métrage définit comme une œuvre réussie : une narration qui captive et maintient le spectateur en haleine, et une actrice principale dont la seule présence à l’écran suffit à justifier l’existence du film.

POMPO THE CINEPHILE

L’extrême simplicité des arguments prête à sourire, et permet d’esquiver toute considération esthétique ou politique : il ne s’agit que d’un objectif à atteindre pour les personnages, mais qui permet au long-métrage d’avancer concrètement vers un but et de plier toute la narration en conséquence. Le grand souci de Pompo the Cinephile est en effet son rythme effréné, permis par les très grandes enjambées du montage. Les décisions et les conséquences sont systématiquement accolées brutalement, et les nombreuses ellipses vident le récit de tous ses potentiels temps morts. Le tournage du film réalisé par Gene se déroule ainsi au pas de course, avec de brèves images des moments clés, tout comme la scène de répétition, où la même réplique est rejouée jusqu’à ce que l’interprétation soit jugée correcte. On trouve dans cette frénésie un certain tempo comique et des associations d’idées intelligentes, mais elle met également en évidence le fait que le réalisateur convoque systématiquement l’artillerie lourde, jusqu’aux riffs de guitare électrique assourdissants, pour faire avancer son histoire ou servir ses émotions.

Derrière l’aspect particulièrement attractif de la narration, on perçoit par ailleurs un certain paradoxe dans l’idée que se fait Pompo du cinéma. L’actrice principale, et plus généralement les interprètes, sont définis comme la clé de voûte de toute œuvre cinématographique. Pourtant, à part le moment où elle doit apprendre un peu le métier, l’aspirante comédienne, Nathalie, n’est jamais le sujet du film. Lors du tournage, elle est davantage objet de la scène : elle se contente d’être naturelle et apparaît systématiquement parfaite, sans que des notion de jeu ou de personnalité interviennent. Par la suite, le personnage comme ses aspirations personnelles ne sont quasiment plus évoqués. Le long-métrage se retrouve ainsi à répéter dans ses dialogues l’importance de l’actrice quand, du point de vue formel, son beau souci reste celui du montage – auquel il finit par consacrer un long segment à la fin. Pompo se met ainsi partiellement hors-jeu par rapport à son propre méta-dicours, et ne rétablit sa position que par l’évocation tardive d’une autre règle d’or pour la réussite d’un film : la durée totale ne doit pas dépasser quatre-vingt-dix minutes. La mise en scène de Takayuki Hirao , qui fondait jusqu’ici son découpage sur un principe d’efficacité narrative, incarne une auto-résolution de ce problème, qui replie le film sur lui-même davantage qu’il ne l’ouvre.

POMPO THE CINEPHILE

Les plus grandes faiblesses du film prennent racine dans cette position ambivalente. La façon dont le montage évacue la question du temps, en supprimant tous les instants de vide et d’attente, retire également du récit les moments de potentielles friction entre les personnages. Sous couvert d’efficacité, la narration survole toute la préproduction et le tournage du film réalisé par Gene, à peine ralentis par de petits couacs sans conséquence : le système cinématographique est montré comme une machine rodée qui va toujours de l’avant. L’idéalisme avec lequel l’industrie est dépeinte pose problème, car la représentation cherche toujours à avoir un pied dans la réalité et ne cherche pas à embrasser pleinement le fantasme. Ce tournage où rien ne pose réellement difficulté confère donc à l’écriture paresseuse dans certaines scènes, et en font entrer d’autres dans la franche niaiserie. Le discours humaniste, par exemple, du jeune banquier prêt à financer un film au bord du naufrage n’est pas entendable, pas plus que la tentative de tisser un parallèle entre son parcours professionnel et celui de Gene : le personnage est trop lisse pour fonctionner.

Pompo ne fait pas, de toute manière, grand cas de ses personnages. L’absence de friction entre eux contribue à les enfermer dans leurs archétypes respectifs. Le film se concentre davantage sur les affres de la création, la peur de se lancer et la peur de l’échec, et en parle d’ailleurs avec sincérité dans son dernier segment. Mais c’est peut-être là que le long-métrage se trompe de sujet, en se concentrant sur le héros – dont le cheminement et les doutes n’ont rien de très original dans l’animation japonaise – plutôt que sur les rouages du travail collectif, sur la façon dont le réalisateur doit déléguer une partie de ses tâches et coopérer avec l’équipe technique pour donner vie à ses images.

POMPO THE CINEPHILE

La dernière partie du film, consacrée au montage des rushes, propose tout de même une mise en scène de l’intériorité du personnage principal qui tranche avec le reste du récit. L’opération de montage, mise en abyme, contribue à mettre en forme le fait de penser en images. La séquence déroule une réflexion en mouvement, où les interrogations sur le rythme, le point de vue ou la compréhension du spectateur entendues en voix off – la conscience de Gene – sont retranscrites visuellement par des opérations de coupe, de répétition, d’ajout ou de retrait d’un plan. Le segment, à la fois virtuose et pédagogue, offre aux spectateurs de Pompo la possibilité de se faire une place dans un mode de pensée extérieur, visuel et en même temps concret : la correspondance entre ce que Gene envisage et ce qu’il crée par le montage est aussi stricte qu’un théorème mathématique.

C’est dans cette convergence entre pensée et forme que la longue recherche du point de patinage de Pompo prend fin. L’hyperdécoupage qui était au service de l’efficacité narrative se densifie et synthétise un rapport à l’image jusqu’alors vaguement évoqué mais jamais mis en scène. Que l’épiphanie de Gene devant sa table de montage soit finalement le point d’orgue d’un récit de dépassement de soi un peu linéaire, qu’importe : la mise en relation magique entre geste et images mouvantes a finalement eu lieu.

Bande-annonce

3 juillet 2024 – De Takayuki Hirao
avec Hiroya Shimizu, Hiroya Shimizu et Ai Kakuma




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