POUR LA FRANCE
Aïssa Saïdi est un jeune officier de 23 ans d’origine algérienne. Lors d’un rituel d’intégration dans la prestigieuse école militaire française de Saint-Cyr, il perd la vie. Son grand frère Ismaël, le mouton noir de la famille, se retrouve à la pointe du combat pour l’organisation de ses funérailles… Une intrigue issue d’un drame très personnel vécu par le réalisateur en 2012.
Critique du film
Six ans après La mélodie, Rachid Hami réalise son deuxième long-métrage qui puise dans ce qu’il y a de plus intime, la mort d’un frère. Pour la France est donc un sujet très autobiographique pour son auteur, mais il est aussi un récit qui ne repose pas que sur le seul pays désigné dans son titre, mais également à l’Algérie, berceau de cette famille. Ismaël et Aïssa sont deux frères nés à Alger, seulement séparés par quelques années. Leur mère est déterminée à déménager avec ses fils en France, voulant à tout prix quitter son pays en proie aux actions terroristes du Front islamique du salut. Le père, joué par Samir Guesmi, est policier et ne veut pas entendre parler de cette exode qu’il assimile à un abandon. Dès ces premiers instants on constate que les frères sont très différents, l’un ne voulant pas quitter son père et son pays, l’autre plus enclin à suivre le mouvement maternel. C’est dans cet antagonisme premier que se bâtit l’histoire du film, entre d’une part le fils prodigue, le préféré du père, et Ismaël le mal-aimé destiné à rater tout ce qu’il entreprend.
Peu de surprise dès lors à les retrouver l’un dans de brillantes études à Science po, et l’autre vivotant de petits larcins qui lui valent le mépris des membres de sa famille. C’est un récit morcelé d’une grande subtilité que construit Rachid Hami, éclatant son écriture entre trois continents pour révéler les fêlures qui constituent le portrait de cette fratrie dissonante. L’Afrique a planté les grands traits et la base de l’histoire, c’est ensuite en France qu’on retrouve les frères et surtout le devenir d’Aïssa, qui subit la bêtise des « bahutages » de Saint-Cyr, jusqu’à trouver la mort dans un exercice dangereux et non autorisé par l’école. Cette partie du scénario montre la détresse de la génération qui a du quitter l’Algérie pour espérer se construire un meilleur avenir, et qui constate que ses fils n’ont pas réussi à trouver une place dans une société qui ne cesse de les discriminer pour leurs origines. On retrouve un Ismaël qui est plus que jamais rejeté par ses pairs, maladroit dans ses tentatives pour soulager sa mère dans sa douleur.
La solution pour comprendre cette famille se trouve enfin dans la partie situé à Taipei la capitale de l’île de Taïwan. Aïssa y effectue son année à l’étranger, passage obligé des étudiants en Institut d’Études Politiques en troisième année. Son absence était une blessure béante au moment des fêtes de Noël, ce qui pousse Ismaël à le rejoindre pour déterrer un lien familial presque brisé. La froideur de leurs retrouvailles déterre des douleurs et des rancoeurs qui expliquent tous les non-dits soupçonnés depuis le début du film. Les reproches sont formulés, et les différences entre Ismaël et son frère lui explosent au visage, telle une épiphanie. C’est à Taipei que lui apparaît la vacuité de sa vie, et son absence de projets et de devenir qui en font un poids pour toute sa famille. S’ils finissent par se retrouver au bout du compte, c’est dans les coups, les larmes et les rires que ce parcours initiatique se rythme. Si les problématiques sont lourdes et vastes, c’est dans un karaoké improvisé dans un taxi que la joie peut enfin renaître.
Dans un film aussi personnel que Pour la France pour son auteur, il y a évidemment beaucoup d’émotions à trouver. Raconter le petit frère perdu et au delà le rapport à la famille et à l’attachement aux territoires est bouleversant. Le film est aussi un portrait magnifique de deux générations d’immigrés algériens qui ont rêvé la France comme une terre d’accueil, non comme un enfer xénophobe où même les filières d’excellence les traitent comme des habitants de seconde zone. Le « non pas la Marseillaise » prononcé par une Lubna Azabal magnifique en dit long sur le divorce entre ceux qui ont cru à ce qui semble bien être une grande hypocrisie : la promesse d’assimilation française. De Karim Leklou à Shaïn Boumedine, en passant par Slimane Dazi et Samir Guesmi, tout le casting livre une performance d’une grande qualité pour porter très haut ce très beau film familial.
Bande-annonce
8 février 2023 – De Rachid Hami, avec Shaïn Boumedine, Karim Leklou et Lubna Azabal.