Quand les vagues

QUAND LES VAGUES SE RETIRENT

La corruption dont il est témoin chaque jour plonge un policier dans un tel dilemme moral que sa peau en tombe malade. Pour guérir, il devra affronter ses propres démons.

Critique du film

L’oeuvre du philippin Lav Diaz a réussi le tour de force de se faire connaître et récompenser, malgré des films d’une longueur et d’une nature tout simplement hors-norme. Depuis 1998, c’est près d’une quarantaine de films qu’a réalisé cet étrange personnage, avec très peu de moyens et une vision du cinéma qui ne ressemble à aucun autre. Il n’est pas rare qu’un de ses films fasse plus de cinq heures, poussant la prouesse jusqu’au double de ce chiffre, incarnant ce mouvement dit du « slow cinema » où un plan peut durer plusieurs heures, créant son espace-temps propre et se déployant à l’infini. C’est pourtant un Léopard d’or du festival de Locarno qui lui est décerné en 2014 pour From what is before, et un Lion d’or à Venise en 2018 pour La femme qui est partie. Cette reconnaissance du métier, si elle n’était pas recherchée en tant que telle, a permis à ce cinéaste de continuer son œuvre, et notamment d’envisager de prendre des risques et de bouleverser quelque peu son dispositif. Quand les vagues se retirent est d’une certaine façon l’enfant de ces années de reconnaissance.

La profusion de films dans sa filmographie est certes la preuve du bouillonnement et du désir de cinéma de Diaz, mais c’est aussi le témoin de son choix de tourner en numérique depuis ses débuts. Cet outil moderne a permis une certaine démocratisation du processus filmique, et offert à des auteurs aussi prolifiques de beaucoup tourner sans souci de pellicule. C’est pourtant vers le celluloid, et plus précisément le format 16 millimètres que se tourne Lav Diaz, et de façon ironique pour filmer non le passé de son pays, comme dans beaucoup de ses films, mais son présent, ou tout du moins l’un des aspects de celui-ci, la prolifération de la violence policière. Si le film détient des images sublimes, avec le grain épais de ce format si spécial qu’on retrouve notamment dans Le joli mai de Chris Marker et Pierre Lhomme, il n’est pourtant pas question de tourner pour faire de la « belle image ». Le propos est cru, ostentatoire, et délibérément choquant.

Quand les vagues se retirent
Comme toujours chez Lav Diaz, le spectateur semble débarquer au milieu d’un univers lointain, régi par ses propres codes. Pourtant, et ce peut être pour la première fois, l’histoire est linéaire, simple, avec des enjeux clairement identifiés. Ces deux policiers, l’un tout juste sorti de charge, l’autre de prison où il fut envoyé par son ancien apprenti, se vouent une haine féroce, et l’issue funeste ne fait aucun doute dès le début de l’histoire. L’intérêt est donc comme toujours chez Diaz à trouver ailleurs, comme caché dans les replis du plan. L’auteur prend un malin plaisir à tourner en ridicule ses personnages, l’un rongé par une maladie de peau, symptôme du mal qui se propage dans la société philippine, l’autre complètement halluciné, se prenant pour un pasteur évangélique en mission. Pas de manichéisme dans le film : le mal est partout et concerne tout le monde. La mort est l’issue inéluctable, dans un jeu de l’oie savant qui amène les deux anciens policiers à se retrouver face à face.

Quand les vagues se retirent est un nouveau rappel de l’hostilité farouche que témoigne Lav Diaz envers les forces armées des Philippines, qu’elles soient militaires ou policières, qui par ambition finissent toujours par sacrifier les populations qui ne sont que des données subsidiaires pour elles et leurs ambitions de pouvoir. Dans cette histoire comme dans toutes les précédentes illustrées sur 25 ans de la carrière du cinéaste, on trouve un dénominateur commun : l’absurde. Si les contextes politiques sont toujours lourds et les morts nombreuses, Lav Diaz ne peut s’empêcher de distiller ce parfum étrange qui démontre la bêtise de ces pouvoirs séculiers qui sont avant tout des ennemis du peuple et qui agissent contre lui et ses intérêts profonds. Si Lav Diaz est sans aucun doute l’un des plus grands formalistes du cinéma contemporain, il est aussi le chantre d’une intelligence rare, celle de faire du cinéma politique, beau et divertissant, sans jamais perdre de vue ses convictions.

Bande-annonce

16 août 2023 – De Lav Diaz, avec John Lloyd Cruz


Festival de La Roche-sur-Yon