Queer

QUEER

Lee raconte sa vie à Mexico parmi les étudiants américains expatriés. Il poursuit un jeune homme nommé Allerton, inspiré d’Adelbert Lewis Marker (1930-1998), un militaire de la marine américaine récemment libéré de Jacksonville, en Floride.

Critique du film

Après deux films aussi peu personnels et mémorables que Bones and All (2022) et Challengers (2023), le très prolifique Luca Guadagnino signe un nouveau long-métrage qui n’est pas la moindre des adaptations. Queer est une des œuvres majeures de William S. Burroughs, l’un des écrivains de la « Beat Generation », déjà adapté au cinéma par David Cronenberg avec Le festin nu (1991), également aperçu comme acteur dans Drugstore Cow-Boy de Gus van Sant (1989). Les textes de Burroughs sont particuliers en cela qu’ils sont des auto-fictions assez proches de carnets intimes, à l’instar de Sur la route de Jack Kerouac, dont la première mouture comportait les véritables noms des membres de ce courant littéraire du milieu des années 1950. On retrouve donc ici le personnage de Lee, un américain d’une cinquantaine d’années exilé à Mexico pour pouvoir profiter sans entraves de tous les excès possibles, sans la crainte de se retrouver arrêté par les autorités.

Divisé en trois chapitres, le film est assez proche du texte originel, se trouve être très linéaire et facile à suivre, tout du moins pendant la majorité des deux premières parties. C’est avec une image très stylisée et une reprise de Come as You are de Nirvana que nous sont introduits les personnages, faisant étape de bar en bar, dans un cheminement ininterrompu entre téquila, bières, et éventuelles repas plus consistants. Lee ne fait rien d’autres que cela : s’enivrer jusqu’à l’évanouissement, dans une recherche de son prochain amant consommé dans une chambre d’hôtel louée pour quelques heures. Les premières minutes le décrivent comme un prédateur un peu gauche, qui tente sa chance auprès de tout homme dont il croise le regard, entre le ridicule et l’étourdissement provoqué par sa consommation excessive d’alcool.


Après ces débuts aussi hauts en couleurs que patauds et tristes, intervient l’arrivée dans le plan de Eugene, jeune homme beau et séduisant, qui mystifie Lee en un regard. Guadagnino prend beaucoup de soin pour filmer ce personnage, tout d’abord fuyant, avec une aura animale indéniable et mystérieuse. C’est une parade nuptiale en bonne et due forme qui s’orchestre, tout en faux fuyants et contradictions, tant le jeune homme est fuyant, discret, brouillant les pistes tant sur sa sexualité que sur son intérêt pour Lee qui trépigne le front en nage dans les recoins de ses officines préférées. Le rapprochement entre les deux hommes est aussi beau esthétiquement, avec un grand soin apporté à la composition de chaque plan dans un Mexico de carte postale, qu’il devient cru et explicite dès que le pas est franchi et que leur relation devient charnelle.

La scène qui les voit se réunir et devenir amants est à ce sens un ballet savamment conçu, où le jeu amoureux semble dépasser complètement Lee, où l’on découvre un Daniel Craig très éloigné de son personnage ultra-viril d’agent secret de Sa Majesté, affichant une fragilité assez déconcertante face à Eugene. S’il est plus jeune, l’ascendant est clairement en sa faveur, tant l’amour qui naît dans l’esprit de Lee le prend par surprise, pas vraiment au programme des festivités prévues au Mexique. Une très belle scène montre la toxicomanie de Lee, un état de fait très bien raconté par Burroughs dans son roman Junky, une des raisons majeures de sa présence à Mexico. C’est cette liberté de se droguer et de vivre son homosexualité qui pousse toute une communauté venant des Etats-Unis à se trouver de l’autre côté de la frontière, ce qui est très bien retranscrit dans le film tant la ville ressemble à un parc d’attraction pour adultes.

Moins réussie est la troisième partie située dans la jungle, dans une fuite à deux qui doit se concrétiser par la trouvaille d’une drogue permettant « la télépathie » à celui qui en fait la consommation. La mise en scène s’englue et l’enchainement des mésaventures et rencontres du duo est fort peur heureuse. Dans une rupture abrupte, on quitte le huis-clos citadin pour une plongée dans la nature et une quête spirituelle peu intéressante qui fait perdre son charme et sa délicatesse toute vénéneuse au film. Il n’en reste pas moins que Luca Guadagnino offre l’un de ses meilleurs rôles à Daniel Craig, plein d’un enthousiasme réjouissant dans cette partition qui dénote beaucoup avec ce qu’il a pu proposer jusqu’ici.


De Luca Guadagnino, avec Daniel CraigDrew Starkey et Lesley Manville.


Mostra de Venise 2024