RABIA
Poussée par les promesses d’une nouvelle vie, Jessica, une Française de 19 ans, part pour la Syrie rejoindre Daech. Arrivée à Raqqa, elle intègre une maison de futures épouses de combattants et se retrouve vite prisonnière de Madame, la charismatique directrice qui tient les lieux d’une main de fer. Inspiré de faits réels.
Critique du film
Dans des classeurs feuilletés par des jeunes femmes gloussant telles des adolescentes devant un magazine people, on trouve des photos de soldats en tenue et armés jusqu’aux dents. Ces hommes, ce sont des maris potentiels, des pères promis, et l’unique raison de leur présence dans cette maison appelée « madafa », dont l’ambiance ressemble, a priori, à celle d’une colonie de vacances. Mais entre les murs de cette véritable usine à procréation pour veuves ou femmes célibataires, l’ambiance se refroidit vite et une rigueur mortifère s’instaure peu à peu. Cet antre de la soumission inspiré par les « lebensborn », les pouponnières nazies qui servaient à assurer la continuité de la race aryenne, servira de décor unique. L’utilisation du huis-clos exacerbe alors le sentiment d’emprise et d’étouffement qui règne sous la supervision de Madame (personnage joué par Lubna Azabal et directement inspiré de Fatiha Mejjati, aujourd’hui en fuite.)
Tendu et ambigu, Rabia donne à voir des jeunes recrues pour qui le rêve tourne alors au cauchemar et la pension devient prison. Victimes d’un endoctrinement menant à des maltraitances physiques et psychologiques, ces femmes n’en sont pas moins coupables en premier lieu de participer à la prospérité d’une organisation terroriste. Tel est le positionnement complexe du film insistant sur le fait qu’aucune d’elles n’est là contre son gré. Le regard de Mareike Engelhardt tend tout de même à montrer la coercition qui s’exerce petit à petit au sein de la maison, d’autant plus dure à voir qu’elle est le fait d’une autre femme.
Au lieu de tenter d’expliquer le chemin parcouru par ces jeunes femmes qui dérivent vers la radicalité, Mareike Engelhardt choisi de démarrer son récit une fois ce processus terminé. Pour des raisons inconnues, ou volontairement floues en ce qui concerne Rabia, elles sont toutes déjà acquises à cette cause liberticide. D’une manière plus globale, l’utilisation du hors-champ sert un but de distanciation de son sujet. Ainsi, le front n’est jamais montré, tout comme on ne mentionne aucune organisation précise, se focalisant ainsi sur le principe d’embrigadement et de perte de repères plutôt que sur des faits. Ce parti pris intéressant constitue cependant une des limites du film. Comment comprendre que ces jeunes femmes choisissent une voie aussi déshumanisante en laissant tout raisonnement psychologique en dehors de l’histoire ? D’autant que le scénario est né de la fascination que le mal exerce sur Mareike Engelhardt, dont le passé est hanté par des grands-parents furent embrigadés dans les jeunesses hitlériennes.
Malgré tout, cette absence de contexte qui peut être vue comme une faiblesse est contrebalancée par un questionnement implacable, voire indispensable, vis-à-vis d’une responsabilité commune. Quelles que soient les raisons qui ont poussé ces femmes à la radicalisation, à quel moment la société a-t-elle failli à sa mission d’offrir un cadre de vie dans lequel tous ses citoyens, et a fortiori ses citoyennes, de se sentiraient épanouies et en sécurité ? Qu’est-ce qui les pousse à opter pour un destin qui leur retire des droits et des libertés ? Si Rabia n’apporte pas de réponse précise et aurait pu offrir un point de vue plus exhaustif sur le sujet, la question mérite plus que jamais d’être posée, et à plus forte raison dans un climat politique qui se durcit, notamment vis-à-vis de la condition féminine.