RAPTURE
Dans un village du Meghalaya, au nord-est de l’Inde, plusieurs jeunes hommes disparaissent mystérieusement durant la nuit. Alors que les anciens accusent de kidnapping les étrangers de passage, le prédicateur y voit les prémices d’une apocalypse de 40 jours et 40 nuits qui plongera les habitants du village dans l’obscurité. Vu à travers les yeux de Kasan, un garçon de dix ans souffrant de cécité nocturne, les forêts alentour n’ont jamais paru aussi terrifiantes.
Critique du film
Rapture est de ces films qui vous enveloppent peu à peu, sans rodomontade. Il pénètre en vous lentement mais sûrement, comme un venin, comme la nuit recouvre le jour. Soit un village du Mangalaya, région montagneuse du nord-est de l’Inde, évangélisée par les chrétiens depuis le XVIe siècle. C’est là que Dominic Sangma a grandi et c’est depuis ses souvenirs d’enfance qu’il nous raconte une histoire de dérèglement, de peurs et d’identité. Pour cela, il choisit d’illuminer la rigueur du documentaire à la flamme du fantastique.
Il suffit qu’un homme disparaisse et tout est bouleversé. La saison de capture nocturne des cigales est suspendue (magnifique ouverture aux flambeaux), on organise une battue et les autorités locales y vont chacune de leurs sentences. Alors que le Conseil du village met en place des rondes vigilantes, le pasteur annonce une prophétie apocalyptique. Ce climat de danger résonne de manière brouillonne dans la tête de Kasan, double du cinéaste au visage déformé par un bec de lièvre. L’homme qui a disparu est son oncle et l’enfant souffre de cécité nocturne à laquelle la panique ambiante vient ajouter de la confusion. La mise en scène ne cède rien au sensationnalisme, ni musique tapageuse (la bande son restitue sans artifice l’inquiétante étrangeté des bruits du village et de la forêt) ni effet de montage mais infuse une atmosphère de paranoïa d’autant plus forte que l’ennemi fantomatique exacerbe les imaginaires les plus débridés.
Plus de mal que de peur
De qui avons-nous peur, des hommes ou des esprits ? Cette question posée par le chef du village est au coeur d’un trouble que les circonstances révèlent au grand jour. Le pasteur semble avoir supplanté l’autorité du chaman. Au sacrifice des animaux a succédé une quête exceptionnelle censée prévenir les dangers apocalyptiques. Les croyances tanguent mais pas suffisamment pour remettre son destin entre les mains d’une police hostile et d’une justice lointaine. Comment croire à la fois aux nymphes et aux képis ?
Kasan observe les adultes douter, s’inquiète pour son oncle muet, personnage stoïque, menuisier inlassable, fabricant de cercueils et d’une étrange créature qui prend vie lors d’une nuit d’orage durant laquelle le film se rapproche d’un univers fantastique que d’aucuns pourraient regretter qu’il ne soit pas davantage exploité. Sangma choisit de tenir son film aux lisières du conte, du rêve et de l’horreur. Si Kasan ne voit pas la nuit, il ne rate rien de ce que le jour et les hommes, déboussolés, devraient soustraire à son regard.
Attention, l’innocence bafouée de l’enfant n’est pas la métaphore du devenir de sa tribu (Les Garo), Rapture ne rejoue en rien l’exaltation du bon sauvage, mais la victime d’une gangrène dont la figure du pasteur corrompu (superbe personnage, constamment sur le fil avant de basculer, digne héritier du prédicateur de La Nuit du chasseur) serait l’incarnation la plus aboutie. À quelqu’un, malheur est toujours bon, les ténèbres de l’apocalypse ne recouvriront pas le village de leur obscur voile mais nous nous souviendrons longtemps d’un enfant hanté par la vision d’un cercueil à sa taille et de la beauté des scènes de nuit et d’intérieurs, éclairées par une simple bougie ou une myriade de torches. Obscurité et obscurantisme se répondent comme se font écho deux scènes, une procession religieuse et un cortège funéraire. Sommé de se taire, l’enfant lève la tête et regarde le ciel. Le plan suivant nous suggère qu’il observe la caméra qui, en plongée verticale, enregistre, impuissante, le retour à l’ordre soit le contraire de l’harmonie.
Rapture est le deuxième volet d’une trilogie que Dominic Sangma consacre à ses souvenirs d’enfance. Il fait suite à Ma-Ama (2019) que nous espérons découvrir un jour en attendant la suite.