RIPOSTE FÉMINISTE
Critique du film
L’envie de ce film est née chez Marie Perennès d’un engagement personnel. Un jour, elle prend contact avec un groupe de colleuses, ce collectif féministe affichant sur les murs de nos villes des slogans accrocheurs comme autant de piqûres de rappel dans une société fermement repliée sur ses dogmes patriarcaux et ses discours caricaturaux réduisant ces mouvements d’émancipation féminine à de l’hystérie. Avec Simon Depardon, ils décident alors de réaliser un documentaire visant à garder une trace de leurs actions (forcément éphémères) ne se limitant pas simplement à estampiller les murs des métropoles de lettres noires sur fond blanc.
Grisant et bienvenu, Riposte féministe montre cette jeunesse qui se bat pour se faire entendre et défendre ses idées. Pour la planète, pour le bien-être de tou.te.s, par refus de perpétuer l’ordre établi en courbant l’échine. Ayant tissé une certaine confiance avec plusieurs groupes de colleuses à travers l’hexagone, de Paris à Marseille en passant par Brest, Le Havre, Montpellier et même Gignac, le duo de documentaristes devient témoin de leurs échanges, de leurs confidences et des raisons de leur militantisme comme de leur(s) colère(s).
Pour qui l’ignorait encore, le collage féministe est apparu à partir de 2016, avant d’être popularisé par l’activiste Marguerite Stern quelques années plus tard sous la forme de ces collages de feuilles A4 fleurissant depuis en zone urbaine comme plus rurale. Depuis, on dénombre plus de 200 groupes de femmes en France, toutes résolues à bousculer l’ordre bourgeois et capitaliste et dénoncer les violences sexistes et les féminicides. Se faire entendre, le poing levé, la voix qui scande. Peindre, coller, encore et encore. Ne rien lâcher. Quitte à s’attirer la colère de certains habitants et passants, à être souvent caricaturée sur différents plateaux de talk-shows, le mouvement ne s’essouffle pas et leurs militantes n’en sont que plus déterminées afin de rendre public leurs messages.
Mon corps, mon choix, ta gueule !
Le film de Marie Perennès et Simon Depardon capture ainsi de belles séquences où l’on voit ces jeunes femmes se questionner : comment réclamer l’égalité, sensibiliser, déconstruire, en valorisant la femme sans culpabiliser les hommes. Comment faire pour que la peur et la honte changent de camp ? Comment mettre fin à la culpabilisation des victimes ? Les discussions sont animées, mais toujours dans le cadre bienveillant et rassurant d’un regroupement non-mixte, et les questionnements restent constructifs pour perpétuer la lutte malgré le sentiment de se battre parfois dans le vent et sans en percevoir les résultats. Et le parallèle avec le militantisme écologique nous vient alors à l’esprit, dans la séquence actuelle où les activistes cherchent à éveiller les consciences pour éviter la catastrophe vers laquelle on file à toute allure, devant affronter les réactions outrées du grand public et de gouvernants ayant vite fait de qualifier les manifestants d’éco-terroristes.
Elles sont si nombreuses à l’appeler de leurs voeux et à l’exprimer en ce sens : afficher sur les murs ce que certains ne veulent pas voir pour que personne ne puisse y échapper, ouvrir une réflexion sur la construction sociale et l’espace public, tant pour les femmes que pour les minorités de genre et les hommes racisés. Riposte féministe donne à voir l’envers du décor, derrière ces slogans que l’on a tou.te.s pu lire à un coin de rue, et à découvrir ces femmes en plein empouvoirement, qui prennent la rue sans hommes cis et se la réapproprient, sans peur et librement. Ces moments de collage exercent ainsi un effet cathartique pour bon nombre d’entre elles qui ont rejoint le mouvement pour différentes raisons (sentiment de révolte, violences physiques et morales subies, agressions sexuelles, phénomènes d’emprise, harcèlements…). Les préparations des slogans deviennent ainsi des moments de partage et de confessions, et les collages des instants de sororité et de solidarité leur insufflant toujours plus de ferveur et de conviction. Unir leurs forces pour se battre ensemble et revendiquer une prise de conscience collective vers une égalité réelle des droits pour que les prochaines générations n’aient pas à le faire.
Présenté en Séance Spéciale au festival de Cannes 2022, Riposte féministe vise à permettre aux spectateurs et spectatrices de se faire leur propre idée sans imposer un propos frontal ou moralisateur, en offrant la parole à celles qui se battent pour ouvrir une brèche dans les consciences collectives. Un bel hommage au combat féministe de notre époque et à cette nouvelle vague de militantisme intergénérationnel et intersectionnel.
Bande-annonce
9 novembre 2022 – De Marie Perennès, Simon Depardon, avec la voix de Marina Foïs