SAGES-FEMMES
Après 5 ans de formation au métier de sage-femme, Louise et Sofia se lancent dans le monde du travail. “Le plus beau métier du monde”, l’expression les fait marrer depuis les premiers stages. Les toutes jeunes femmes plongent dans la féroce réalité d’une maternité et de leur métier. Des vocations s’abîment, d’autres se renforcent. Leur amitié saura-t-elle résister à pareille tempête ?
Critique du film
Si l’on débarquait par hasard devant Sages-femmes de Léa Fehner, on pourrait croire à un documentaire se déroulant dans une maternité, et plus précisément dans une salle des naissances d’un hôpital public. Ce cœur battant d’un service aussi primordial est représenté par la réalisatrice au plus près des soignantes, dans une course effrénée où il faut aller de chambre en chambre, suivre plusieurs patientes en même temps, jusqu’à quatre dans un même intervalle, et faire les bons gestes dans le cadre d’une gestion toujours plus chaotique des événements. Pourtant, sept ans après le merveilleux Les Ogres, Léa Fehner a bien réalisé une fiction, recréant ce service de pédiatrie qui impressionne dès la première scène. Deux amies, Sofia et Louise, commencent ce travail primordial après cinq années de formation ; ce sont leurs débuts qui nous servent de porte d’entrée dans cet univers qui ressemble beaucoup à celui des urgences.
On y retrouve le même flux continu d’arrivées inopinées, une même gestion au mieux des cas qui peuvent être soit « normaux », des grossesses à terme ou non problématique, soit pathologiques, avec un regard tout particulier sur les soins à apporter à la future mère. Le choix de la mise en scène, avec cette caméra qui se déplace en permanence pour suivre les actrices, permet une immersion totale dans ce qui se déroule. Les portraits se dessinent en même temps que les deux femmes se familiarisent à leurs nouvelles fonctions, et dans son écriture Léa Fehner a choisi de raconter deux itinéraires différents. Sofia arrive confiante, tout de suite dans une prise d’initiative qui force le respect des plus anciennes, tandis que Louise est hésitante, maladroite même parfois, et a des difficultés à gérer ses émotions face aux patientes.
La mise sous pression qui intervient très rapidement avec les premières gardes compliquées, voire catastrophiques, révèle les caractères mais aussi les failles de chacune. La plus à l’aise des deux s’effondre plus vite que celle qui peinait à trouver ses marques. Les rôles et les lignes de force se fracturent ainsi aussi rapidement qu’elles s’étaient constituées pour dresser un constat implacable : le drame peut poindre à chaque instant et il faut réussir à continuer à remplir son rôle, aussi ingrat soit-il. Sofia se révèle ainsi fragile face à l’échec, là où Louise, plus pragmatique, surmonte les difficultés et dépasse sa nature angoissée. Très vite, au-delà de cette galerie de portraits, se dégage un constat politique qui frappe et révolte à la fois : le matériel se dégrade, les conditions de travail se désintègre, le personnel manque, au point que les patientes ne reçoivent plus l’attention nécessaire. La question de la maltraitance, même si involontaire, est clairement posée dans le film, ravivant l’échec du modèle de santé français qui faillit à s’occuper de tous et de toutes dans de bonnes conditions.
Les revendications des sages-femmes restent en filigrane pendant tout le film, comme un bruit de fond qui aboutit sur des images d’archives d’une grande mobilisation exprimant dans la rue le malaise de celles qui aident à donner la vie et qu’on laisse mourir dans des conditions épouvantables de travail, avec toujours moins de moyens et de considération. La beauté ne manque pourtant pas dans Sages-femmes. Si les scènes sont nombreuses où l’on voit la joie faire irruption sur les visages des parents et des soignants qui ont mené à bien leur mission, c’est hors d’une chambre qu’un des plus beaux moments se déroule. On voit Reda, le seul homme de ce service, qui est en compagnie de sa mère, venue accompagner sa fille sur le point d’accoucher. Hurlant devant l’écran de contrôle, de peur que le cœur du nouveau-né ne batte plus, elle finit par comprendre que l’arrêt du signal correspond à la naissance de son petit-enfant. Ce sublime moment d’inimité est transmis par les sourires, presque sans un mot, les attitudes permettant de comprendre ce qu’il vient de se passer.
La qualité des interprétations est remarquable dans Sages-femmes et le duo formé par Héloïse Janjaud et Khadija Kouyaté est pour beaucoup dans la réussite du film. Le visage fermé de cette dernière, qui lutte pour reprendre le dessus sur ses émotions qui l’empêchent de reprendre son métier, est magistral. Sans en faire trop, Léa Fehner réalise un film magnifique, qui fait battre le cœur très vite et révolte beaucoup. À bien des égards, le traitement dévolu à ces salles de naissance reflète toute la faillite du secteur public français. À force de sabrer ses budgets, de le confronter à des logiques de rentabilité qui n’ont rien à faire dans le fait de donner la vie et de soigner, l’hôpital français a perdu sa boussole, ce qu’expriment avec talent toutes ces comédiennes admirables pendant 1h40.
Bande-annonce
30 août 2023 – De Léa Fehner, avec Héloïse Janjaud, Khadija Kouyaté et Tarik Kariouh.