SALE TEMPS À L’HÔTEL EL ROYALE
Sept étrangers, chacun avec un secret à planquer, se retrouvent au El Royale sur les rives du lac Tahoe ; un hôtel miteux au lourd passé. Au cours d’une nuit fatidique, ils auront tous une dernière chance de se racheter… avant de prendre un aller simple pour l’enfer.
Drew Blood.
Drew Goddard est un homme de personnages. L’Américain de 43 ans, passé par Lost, Daredevil, Seul sur Mars ou La Cabane dans les bois, se retrouve peut être pour une des premières fois seul aux commandes de son processus créatif. Soit Sale Temps à l’hôtel El Royale, un beau bébé de 2h22, intriguant comme tout par l’image de foutoir pulp qu’il renvoie. Dans un hôtel atypique construit sur la frontière de la Californie et du Nevada, des individus de roman de gare se croisent là où ils n’auraient jamais dû se croiser. Un prêtre ahuri (Jeff Bridges), une chanteuse qui peine à trouver sa voie (Cynthia Erivo), un vendeur d’aspirateur lourdeau (Jon Hamm) et une inconnue au coffre bien rempli (Dakota Johnson), accueillis par un solitaire homme à tout faire trop timide pour être honnête (Lewis Pullman).
Sur le papier, l’histoire de tout ce beau monde pourrait partir dans n’importe quelle direction. La vérité, c’est que le El Royale ne propose que deux territoires. Deux États dans sa fiction, la Californie et le Nevada, deux directions dans sa narration : le grand n’importe quoi du genre, ou les champs du réel. Manque de chance, le film choisit la chambre la moins bien exposée. Pourtant, la solution était simple. Évidente même, puisque comme chacun le sait, Drew Goddard est un homme de personnages.
Les champs du réel
Découpés en chapitres comme autant de chambres occupées, Sale Temps à L’hôtel El Royale commence là où chacun sait qu’il va commencer : par de longues expositions narratives. L’occasion pour chaque personnage de nourrir le film d’un sous-genre qui lui est propre (crime, drame, thriller) dans un contexte et une esthétique évidemment empruntés (du cinéma des) 70’s. Le choix des mots est important. Emprunté, plutôt que marqué par exemple. Doué d’un certain talent pour marier ses personnages à leur fonction, Drew Goddard peine à élever leur valeur au delà du prêt-à-filmer. Les expositions prennent leur temps inutilement, et la faim se fait sentir lorsque le film peint avec une minutie dispensable des archétypes de narration et/ou d’époque. Non que leur sens en soit altéré : chacun des personnages a tout le loisir de voir en son reflet une copie fidèle et colorée, mais les reflets ont cette malédiction de ne jamais agir autrement qu’en singeant – comble, jusque dans leurs twists.
L’El Royale pense avoir plus d’un tour dans son sac, et Drew Goddard nous ressert sa sauce spéciale qui faisait le piment de La Cabane Dans Les Bois : l’espace de mise en scène qui s’étire jusqu’à montrer ses propres fondations, et permet aux personnages de regarder des personnages et de quasi-conscientiser leur état fictionnel. Sauf qu’il est déjà trop tard, que le mal (l’ennui, le déjà-vu) est fait et que les ajouts tardifs, Chris Hemsworth en premier, ne font que renforcer les défauts déjà aperçus. Surtout, l’erreur de Goddard est d’avoir cru que le schéma de La Cabane Dans Les Bois est transposable à l’infini ou que sa recette méta s’adaptait à toutes les histoires. Ce n’est pas le cas. Là où ses personnages-fonction marchaient à merveille dans le carcan du genre et du fantastique, carcan qui appelle la fonction pour pallier son mensonge fondamental, Sale Temps à L’hôtel El Royale persiste à vouloir inscrire ses protagonistes dans les champs du réel. Le réel social, le réel du Vietnam, le réel du drame familial. Ce réel ne prend jamais, précisément parce qu’on essaie de lui insuffler de l’empathie par des figures factices.
D’où cet espace filmique étrange, quasi-insulaire, huis-clos sans l’être où toutes les sorties sont ouvertes mais jamais traversées – l’hôtel représentant la fiction, Goddard est incapable de créer un monde autour. D’où ces exécutions expéditives pas si étonnantes : sur leur lit de mort, qu’auraient ces personnages à dire si ce n’est des platitudes convenues ? La seule extrême-onction proposée renforce cette idée. Nous est narré Sale Temps à L’hôtel El Royale comme ce type en soirée qu’on ne connaît pas vraiment et qui nous raconte longuement, sans notre consentement, tout le déroulé narratif de son film préféré alors qu’on lui demandait juste s’il aimait bien le cinéma. Avec bien trop de détails pour ne pas être foncièrement emmerdé par ceux-ci, mais juste assez vague pour ne jamais pouvoir entrer en empathie avec le fond de son histoire. Alors, ce type, on le regarde dans les yeux, pas méchamment mais à l’affût de la moindre possibilité de se tirer et d’aller attaquer la table à petits fours. Il avait l’air sympa, de loin. Qu’est-ce qu’il est lourd, de près.
La fiche