SALTBURN
Critique du film
Il est parfois injuste de critiquer un film en raison de la réappropriation faite par ses fans (ou ses détracteurs) en ligne. À l’ère d’Internet et du Meme, il n’est pas rare de voir une œuvre déposséder de sa substance critique et émotionnelle au profit de blagues douteuses ou à côté de la plaque. Le film d’Emerald Fennel, Saltburn, est la nouvelle attraction des internautes à ce titre. Depuis sa mise en ligne sur Prime Video, bon nombre d’internautes se sont amusés à reprendre une scène-clé du film : on y voit Oliver, protagoniste principal, joué par Barry Keoghan, déambuler seul et nu dans les somptueuses demeures du manoir éponyme au son du morceau cultissime « Murder on the dancefloor » de Sophie Ellis-Bextor.
Si on fait la corrélation entre cette trend TikTok et le synopsis du film, nous faisant comprendre qu’on aura affaire à un récit traitant des privilèges et du transfuge de classe, on peut alors faire le raccourci que cette tendance en ligne dépossède le film de toute sa possible verve émotionnelle et satirique. Seulement, voilà le souci : il s’avère qu’au même titre que ces Memes pouvant être compréhensibles hors-contextes, Emerald Fennel ne sait pas vraiment quoi tirer des sujets qu’elle souhaite aborder.
En voulant raconter comment un jeune homme de classe moyenne s’immisce dans le quotidien de la famille aristocratique de son ami d’école, Fennel présente tout d’abord une note d’intention pourtant prometteuse sur le papier : moderniser le thriller gothique sur fond de transfuge de classe. Convoquer Jack Clayton à l’ère hyperactive d’une esthétique Gen Z. Et pour cela, Fennel va y aller à fond sur ce terrain esthétique : mise en valeur de la lumière et de la couleur (en appelant le directeur de la photographie de Damien Chazelle, Linus Sandgren), convocation de deux des acteurs les plus populaires auprès de la jeunesse cinéphile (Jacob Elordi et Barry Keoghan), un investissement appuyé sur les effets de style et sur l’outrance. La réalisatrice donne le tout pour le tout sur cette partie mais sacrifie toute la teneur de son récit.
Au même titre que Promising Young Woman, qui montrait à certains moments qu’il était trop conscient de ses choix (notamment quand le mélange des genres intervient) pour être dédié à son sujet, Saltburn ne parvient pas à provoquer quoi que ce soit de neuf à l’écran. Nous sommes à nouveau face à un Barry Keoghan qui joue une personne dérangée qui va mettre à mort, non pas un cerf sacré, mais une famille richissime. Le film ne dira rien du conflit de classes qui pouvait se jouer face à nous, ni des rapports déstructurés se nouant dans cette cellule familiale. Ces thématiques seront réduites à de la blague acerbe, de la provocation inoffensive. On sort du film avec un sentiment d’avoir assisté à quelque chose d’inachevé. Pire, la distance maladroitement prise avec son sujet peut laisser penser à une écriture douteuse quand le curseur empathique se tourne plus facilement vers la famille richissime et imbue d’elle-même.
Saltburn est une expérience frustrante à force de s’enfermer dans une sur-esthétisation pop. Au même titre que les Memes qui circulent depuis quelques jours, il ne devient au final qu’une déambulation luxueuse dans un train-fantôme provocant qui peut ne pas vous effrayer.
Bande-annonce
22 décembre 2023 – De Emerald Fennell, avec Barry Keoghan, Jacob Elordi, Rosamund Pike