SECRET DÉFENSE
Alors qu’elle travaille tard au laboratoire, Sylvie surprend son jeune frère Paul, une arme à la main. Il lui explique qu’il vient de découvrir les vraies raisons de la mort de leur père. Celui-ci ne se serait pas suicidé comme on le prétend…
Critique du film
Né de l’envie de Jacques Rivette de retravailler avec Sandrine Bonnaire – quelques années après Jeanne la pucelle – Secret défense développe un scénario écrit par Pascal Bonitzer et Emmanuelle Cuau, dont l’un des points de départ est un texte de Georges Bernanos, « Un Mauvais rêve ». Mais on peut citer également Electre, héroïne de l’Orestie d’Eschyle et noter dans ce film des allusions au cinéma d’Alfred Hitchcock et de Fritz Lang, réalisateurs admirés par cet ancien critique des Cahiers du Cinéma qu’était Rivette.
Cette incursion de Jacques Rivette dans le film noir évoque donc un genre hollywoodien par excellence, tout comme la comédie musicale qui faisait l’objet du précédent film du réalisateur, Haut bas fragile. Mais autant Haut bas fragile était marqué par la légèreté, la liberté et un aspect ludique très présents dans l’œuvre de Rivette, autant Secret défense comporte quelque chose de tragique, d’inéluctable. La fatalité, le secret de famille qui sera révélé font de ce film une tragédie autant, voire plus qu’un thriller classique.
Comportant très peu d’accompagnement musical, distillant une ambiance subtilement oppressante, Secret défense repose sur une très belle interprétation. Qu’il s’agisse de Sandrine Bonnaire, dans un rôle de femme forte, déterminée à découvrir la vérité et à protéger son frère, de Jerzy Radziwilowicz, inquiétant, à la présence marmoréenne ou de Laure Marsac, fragile et touchante.
Malgré ses deux heures cinquante minutes, le film ne comporte pas de véritable temps mort. Le voyage du personnage de Sylvie Rousseau – jouée par Sandrine Bonnaire – vers la demeure de Walser dure à lui seul environ vingt minutes mais on ne s’ennuie pas pour autant. La façon dont Rivette filme son héroïne, l’enferme en quelque sorte dans son destin fatal qui commence à se dessiner, tout cela constitue un des attraits du film et ajoute une forme d’étrangeté.
Sûrement le film le plus sombre de Jacques Rivette, Secret défense est disponible en DVD ou Blu-ray, édités par Potemkine dans une très belle version restaurée depuis le 15 juin. Cette édition comporte des suppléments qui rendent bien compte des qualités de ce film énigmatique. On trouvera notamment une analyse par Pacôme Thiellement (32 minutes), 5 prises commentées par Sandrine Bonnaire et Laure Marsac, un entretien avec les scénaristes Pascal Bonitzer et Emmanuelle Cuau et une bande-annonce originale et ludique.
Haut bas fragile
Au même moment est ressorti, également chez Potemkine, dans une version restaurée et avec des suppléments aussi riches et instructifs, Haut, bas, fragile, comédie musicale de Jacques Rivette sortie en 1995, trois ans avant Secret défense. Beaucoup plus léger, mais abordant également le thème du secret de famille, Haut bas fragile réunit Marianne Denicourt, Nathalie Richard, Laurence Côte, mais aussi Anna Karina, André Marcon et Bruno Todeschini. On sent dans ce film tout le plaisir qu’ont pris les actrices principales à écrire elles-mêmes sur leurs personnages.
Ces deux films, très différents dans leur traitement et en même temps similaires par certains thèmes, font donc l’objet d’un traitement éditorial exemplaire comme toujours chez Potemkine, qui donne envie de découvrir ou de redécouvrir dans les mêmes conditions les autres œuvres de Jacques Rivette, réalisateur attachant et mystérieux à la fois. Pour ceux qui voudraient prolonger l’immersion dans sa filmographie, rappelons qu’on trouve également chez Potemkine Céline et Julie vont en bateau, Le Pont du Nord et Jeanne la pucelle. Et, toujours disponibles chez Carlotta, Duelle, Noroît, Merry go round et Out 1.