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SECTION 99

Après avoir été condamné à 7 ans de prison ferme pour trafic de stupéfiants, l’ancien boxeur Bradley Thomas est incarcéré au centre pénitencier du Fridge. Le lendemain au parloir, un homme le menace de tuer sa femme enceinte s’il n’accepte pas d’assassiner un criminel du nom de Christopher Bridge. Problème : Bridge n’est pas dans la même prison ; il est incarcéré au centre de Red Leaf, et plus précisément dans la section de haute sécurité numéro 99…

CRITIQUE DU FILM

Paru en 2018 chez les meilleurs disquaires français, le deuxième film de l’auteur-scénariste-compositeur-réalisateur S. Craig Zahler semble presque sortir tout droit du Nouvel Hollywood. Subversif, puisant dans les racines du néo-Noir des années 1970 et dépourvu de contraintes académiques du découpage du thriller des années 2010 (polars en montagne, films-concepts peu sûrs de la puissance du genre, travellings révélateurs sur des visages burinés…), Section 99 est une déconstruction du rêve américain qui, malgré sa stimulante âpreté en apparence, ne recule devant aucun artifice.

AU NOM DU PÈRE

Figure de proue du récit, l’impérial Vince Vaughn (Bradley Thomas dans le film) est un individu en apparence glacial. Mécanique et à l’émotion peu extériorisée, il est une figure messianique qui plonge dans l’enfer carcéral américain et erre dans un environnement terne, teinté d’un filtre bleuté qui rend l’ensemble atone. Le crucifix tatoué sur son crâne chauve en fait immédiatement le martyr du récit, mais aussi et dans un sens plus large celui des multiples sociétés dans lesquelles il va plonger – son travail qu’il perd pour cause de crise économique, sa vie de couple qui se détériore, l’activité souterraine qui lui permet de subvenir à ses besoins et les différentes prisons qu’il va visiter. Si Jésus s’élevait lors de sa mort, du haut du crucifix installé sur la montagne qu’il a gravi par la contrainte, Bradley lui fait le chemin inverse, et descend les escaliers d’une prison de sécurité maximale en raison de sa loyauté et des erreurs commises par ses « associés ».

Dans nombre de ses œuvres, Zahler s’est souvent questionné sur les martyrs contemporains. Son roman Exécutions à Victory est marqué du sceau de la foi, pervertie lorsqu’au fur et à mesure l’inspecteur afro-américain Jules Bettinger va se noyer dans les différentes enquêtes qu’il doit élucider au sein de la ville la plus criminelle des États-Unis. Son arrivée à Victory, après une bévue pour laquelle il se sent injustement incriminé, est souvent mise en parallèle avec des adjectifs christiques, où ses paroles laconiques trouvent un écho sentencieux proche du Divin.

Dans Section 99, Bradley est beaucoup plus mutique, mais il est lui aussi le martyr de ses propres convictions. Ce dernier se rêve en citoyen américain modèle, patriote, propriétaire d’une grande maison avec femme, enfants et grosses voitures. Dès le départ, le film semble tendre vers un pathos qui peut donner la sensation d’être réactionnaire : Bradley est possessif, sûr de lui, interdit certaines choses à sa femme sous prétexte que c’est dangereux pour son bien-être, etc. Toutefois, tout ceci est explicité pour mieux surprendre et montrer le spectre moral très large du protagoniste, tiraillé entre le respect du corps américain et le crime organisé qui l’embauche. En un sens, son regard serait celui de vivre le rêve de l’Oncle Sam par l’intermédiaire des voies souterraines, puisqu’on lui aurait interdit la plénitude par le biais du « droit chemin ». 

Cependant, Zahler va plus loin que ça et déploie une galerie de personnages autour de lui qui, par leurs actions ou leurs monologues, expriment l’impossibilité de fuite en avant. Des matons compatissants, des gardiens tyranniques et ironiques, des entremetteurs véreux et impitoyables : chacun a sa haute opinion de l’Amérique, et leurs sarcasmes vus à travers les pouvoirs dont ils font preuve ne font que maintenir Bradley à la base de la pyramide. Section 99 est toujours dans cette optique de suivre et comprendre le « moins pire », un relativisme critique qui fait froid dans le dos et présente le blocage d’un héros qui ne sera que le symbole sur lequel le spectateur s’apitoiera par défaut. Ce n’est peut-être pas un hasard qu’un grand croyant comme Mel Gibson, à qui l’on doit le très controversé La passion du Christ, se retrouva être l’un des deux anti-héros de Traîné sur le bitume, le film suivant de S. Craig Zahler. 

“BE CAREFUL, BUDDY”

Si, dans le synopsis, Section 99 est un néo-Noir classique empli de grands codes de l’aller sans retour du héros maudit, son aspect formel détonne complètement. Au-delà d’être redoutablement bien écrit tant dans la narration que dans les dialogues, le long-métrage ne s’interdit aucun non-dit, aucune zone d’ombre dans les plans larges qui le définissent. Nombre d’antagonistes se retrouvent sans identité propre, et tout semble parfois basculer vers une dimension horrifique où chaque ennemi deviendrait un boogeyman (Udo Kier a même pour surnom « L’homme placide » dans les crédits du générique). L’objet de la descente aux enfers se perd même dans les aventures ténébreuses de l’homme au crucifix tatoué, seule la (sur)vie en prison de haute sécurité devient le plus crucial.

Souvent mâtiné d’un inquiétant calme, Section 99 est pourvu de fulgurances graphiques et par moment burlesques, tournées avec des maquettes anthropomorphiques qui impriment une forte viscéralité. Un souffle romanesque parcourt même le découpage du film : chaque fin de séquence s’apparente à une fin de chapitre d’un livre, l’attente de la coupe pouvant même ressembler à un simple tourné de pages. De la présentation de la poigne de Bradley lors de l’introduction du film à la dangereuse section de la prison de Red Leaf en passant par l’entrée au centre pénitencier du Fridge, tout est calibré de manière cérémonieuse, méthodique. Rien ne dépasse du cadre, et pourtant tout ou presque se dit dans la longueur passionnante des scènes. 

Certaines scènes paraissent même tenir du documentaire, tant le soin apporté au détail et le peu d’ellipses présentes entre les séquences tendent à simuler la véracité de certains faits. Un sacré cocktail, parfois très audacieux par la durée de certains passages et la traversée de plusieurs genres – le film est parfois teinté d’humour – mais qui marquent et fascinent par le jusqu’au-boutisme formel d’un auteur dont on attend l’aboutissement de ses prochains projets cinématographiques.

#LBDM10ANS

ℝ𝕖́𝕥𝕣𝕠𝕤𝕡𝕖𝕔𝕥𝕚𝕧𝕖 𝟚𝟘𝟙𝟠