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SEPTEMBRE SANS ATTENDRE

Après 14 ans de vie commune, Ale et Alex ont une idée un peu folle : organiser une fête pour célébrer leur séparation. Si cette annonce laisse leurs proches perplexes, le couple semble certain de sa décision. Mais l’est-il vraiment ? 

Critique du film

Un couple en train de se séparer, un film en phase de montage, le cinéma et la vie se croisent et se frottent dans Septembre sans attendre, le nouveau film de Jonas Trueba, surprenante comédie sentimentale truffée de références et lardée d’épiphanies mélancoliques. 

Salut les amoureux

Après 14 ans de vie commune, il y a désormais du jeu entre Ale et Alex, deux trentenaires madrilènes. Comme on le dirait de deux pièces d’une mécanique de précision qui, avec l’usure de temps, a cessé de fonctionner harmonieusement. À les regarder évoluer dans leur duplex, un matin comme les autres, rien ne saute aux yeux si ce n’est une habile stratégie d’évitement que Jonas Trueba met en scène avec fluidité et élégance jusqu’à l’introduction d’un split screen plus déclaratif. Le couple est arrivé au bout de ce processus insidieux qui finit par transformer le quotidien en routine et les amoureux en colocataires. Mais ce matin n’est pas tout à fait comme les autres. Ale et Alex ont caressé nuitamment une idée un peu saugrenue qu’ils sont bien décidés à mettre en œuvre : organiser une fête de séparation pour sceller leur désunion au milieu des leurs, dans la joie et la bonne humeur. Un dernier projet en commun, une dernière danse comme un défi à l’ordre établi. La victoire du panache sur le pathos.

Tic-tac, tic-tac

Le sablier est retourné, la date du 22 septembre fixée, au travail ! Car oui, Ale l’affirmera, c’est du boulot une séparation. Septembre peut attendre met en place un jeu de répétitions, Ale et Alex multipliant les annonces de la nouvelle aux familles et amis. Ou plutôt, les nouvelles, la double annonce de la séparation et de la fête à venir. C’est précisément entre le faire savoir et le faire-part que le film trouve sa profonde originalité. Alors que l’action semble encapsulée dans l’impatience du titre, c’est une autre dimension, celle du temps long, qui progressivement émerge.

Il y a d’abord cette idée qu’il est plus important de fêter les séparations que les unions, longtemps claironnée par le père d’Ale, qui a fait son petit bonhomme de chemin jusqu’à revenir en force au moment opportun. Idée qui laissera son propre instigateur, une fois informé, fort désemparé. Il y aussi l’ancrage du couple dans la filmographie de Jonas Trueba. Si Vito Sanz et Itsaso Arana forment à chaque fois une paire singulière, le cinéaste semble dessiner, de film en film, un chemin canonique. La disponibilité et la rencontre dans Eva en août (c’est sur un pont que la solitude d’Agos attirait l’attention d’Eva, c’est aussi sur un pont qu’Ale observe Alex marcher vers un nouvel horizon), les choix de vie dans Venez voir, et désormais la rupture.

Enfin, un temps plus long encore place les protagonistes dans l’histoire du cinéma par un franc jeu de références qui jalonnent le récit. Bergman avec lequel Ale se convainc de faire le grand jeu divinatoire, Woody Allen période Maris et Femmes (qui citait lui aussi Bergman), Un jour sans fin (au 2 février, jour de la marmotte répond le 22 septembre, jour des inséparables) et les comédies hollywoodienne du remariage introduites par la figure du père à travers le livre de Stanley Cavell, À la recherche du bonheur que lisait déjà Eva (en août). L’accumulation des références pourrait finir par peser mais il n’en est rien, elles apparaissent d’autant plus naturellement que Ale et Alex font du cinéma leur métier. Il joue, elle réalise.   

septembre sans attendre

Une nuque à front renversé

« Ça pourrait marcher au cinéma mais pas dans la vie réelle ». C’est ainsi que réagit Ale lorsqu’Alex évoque l’idée d’une fête de séparation. Une réplique inaugurale dont la saveur se goûte lentement, tant on comprend rétrospectivement qu’elle comporte un défi auquel la cinéaste ne saura résister. Plus tard, Ale est filmée au travail avec son chef monteur. La scène à laquelle nous venons d’assister, se retrouve disséquée sur le banc de montage. Bientôt la confusion ne sera plus possible, le film de Jonas et le film d’Ale racontent bien la même histoire tout en étant, potentiellement, différents. Ici, la mise en abyme n’est pas tout à fait miroir, Trueba prenant le soin de laisser à Ale toute sa liberté créatrice.

En revanche, elle se double d’un petit vertige lorsque l’on sait que Jonas Trueba et Itsaso Arana forment un couple à la ville, dans une construction longtemps inversée – il filmait, elle jouait – rendue plus égale depuis qu’elle est aussi réalisatrice (Les Filles vont bien, une réussite où la répétition théâtrale se nourrissait de la vie et inversement). Ajoutons à cela que le père d’Ale est joué par Fernando Trueba, père de Jonas et célèbre cinéaste espagnol.

C’est dans sa dernière partie que le film touche le plus. Une fois passée l’excitation suscitée par la perspective de la fête, une fois terminée la tournée des popotes pour annoncer la nouvelle, il y a comme un voile de  tristesse qui envahit le couple au comble de l’indécision. Une série de détails, de petits gestes, tellement justes qu’ils réveilleront en chacun/chacune des souvenirs tumultueux. Le meilleur : la connivence de la conversation (« j’ai demandé avant »), une manière de déteindre sur l’autre en rentrant la chemise ou le t-shirt dans le pantalon ou la jupe, juste sur le devant, acheter en commun une paire de fauteuils inséparables (bonjour Cary Grant, bonjour Claudette Colbert). Et le moins bon : continuer à partager le lit sans tendresse, une dispute autour d’un film moins anodine qu’il n’y paraît, une porte qui se referme, un pyjama secret, un évier sempiternellement bouché (bonjour Jennifer Jones, bonjour bonjour Monsieur Lubitsch).

Il est décidément plus facile de se mal aimer que de se désaimer. Et puis il y a cette merveilleuse idée du portrait. À front renversé de l’habitude, peindre ce que l’on voit et non pas ce que l’on sait, redécouvrir le tracé de la nuque et plus tard, alors que les peaux se disent adieu, la courbe d’une omoplate. Adieu ou au revoir ? L’indétermination demeure, mais demande t-on au paon de faire la roue en automne ? 

Bande-annonce