SEULES LES BÊTES
Une femme a disparu. Le lendemain d’une tempête de neige, sa voiture est retrouvée sur une route qui monte vers le plateau où subsistent quelques fermes isolées. Alors que les gendarmes n’ont aucune piste, cinq personnes se savent liées à cette disparition. Chacun a son secret mais personne ne se doute que cette histoire a commencé loin de cette montagne balayée par les vents d’hiver, sur un continent où le soleil brille, et où la pauvreté n’empêche pas le désir de dicter sa loi.
Critique du film
Retour en forme pour Dominik Moll, qui réussit, en adaptant Seules les bêtes de Colin Niel, un grand film noir doublé d’une cruelle ronde des amours illusoires.
Dominik Moll et son complice d’écriture Gilles Marchand ont gardé du roman la structure narrative. Le film, découpé en chapitres, adopte tout à tour les points de vue des personnages principaux. Le film avance dans une forme de ressassement qui rappelle le geste du peintre travaillant la matière par couches successives. Il y a un plaisir ludique à voir l’intrigue se dessiner au fil des segments, éclairant ici un détail, introduisant là une nouvelle zone d’ombre. Et puis, comme dans les meilleurs films noirs, les personnages finissent par reléguer l’intrigue au second plan.
Mirages et fantasmes
Joseph a bien du mal à se remettre de la disparition de sa mère avec qui il vivait dans leur ferme isolée du plateau cévenol. Alice et Michel forment un couple heureux en apparence. Ainsi de suite, le film développe une ronde des amours impossibles. Des mirages du désert sentimental aux fantasmes cyber-blondes, le film dessine une carte du tendre en trompe l’œil. Les amours se font d’autant plus cruelles que les protagonistes s’y accrochent comme à des bouées, quand elles sont, au mieux des baumes, au pire des hameçons.
D’abord ancré dans les neiges du Causse Méjean où la mise en scène de Dominik Moll joue à la fois sur l’horizontalité et la verticalité pour conjuguer solitude et inquiétude, le film se décentre par le biais d’internet, pour finir dans la clarté poussiéreuse d’Abidjan où densité et interconnexion se confondent. Dans les deux cas, le film investit des territoires peu couverts par le cinéma français contemporain, y puisant deux formes d’abandon qui donnent au récit sa couleur, un hypernoir qui se nourrit de la lumière, presque un tableau de Soulages.
Les acteurs, tous excellents, apportent des nuances à leur emploi. Laure Calamy (Nos batailles) porte une lumière intérieure comme une générosité et non comme une folie. Valeria Bruni Tedeschi impressionne par sa dureté. Denis Ménochet (Jusqu’à la garde) est drôle et désarmant de candeur, il transforme des scènes de chat potentiellement ennuyeuses en petit festival de comédie. Damien Bonnard, déjà à l’affiche des Misérables incarne l’abandon avec douleur. Il faut également citer les nouveaux venus, Nadia Tereszkiewicz et Guy Roger N’Drin, logiquement retenus parmi les révélations des César 2020.
Sombre et drôle, surprenant et attachant, Seules les bêtes pourrait bien voir Dominik Moll renouer avec le succès populaire, presque vingt ans après après Harry un ami qui vous veut du bien avec qui il partage déjà un beau titre mystérieux.
Bande-annonce
4 décembre 2019 – De Dominik Moll, avec Denis Ménochet, Laure Calamy