SICK OF MYSELF
Signe et Thomas forment un couple toxique qui dégénère lorsque Thomas accède à la célébrité. Signe décide alors de faire n’importe quoi pour se faire remarquer. Vraiment n’importe quoi…
CRITIQUE DU FILM
Présenté lors du dernier Festival de Cannes, dans la section Un Certain Regard, le film du Norvégien Kristoffer Borgli s’invite cette fois à l’Etrange Festival, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il y est tout à fait à sa place.
Signe et Thomas, le couple du film, ont globalement tout pour être heureux. Ils sont jeunes, en bonne santé, ils ont un travail, lui commence à se faire un nom dans le milieu de l’art contemporain et elle travaille comme serveuse dans un café. Pourtant, malgré cette situation privilégiée, ils sont incapables d’être satisfaits. Pire, chacun déteste la réussite de l’autre et cherche constamment à tirer la couverture à soi.
Ce besoin absurde d’être au centre de l’attention débouche sur nombre de scènes à la fois drôles et pathétiques. On les trouve ridicules à toujours vouloir prendre toute la lumière, à dénigrer l’autre pour mieux se mettre en valeur. La compétition malsaine qui s’exerce au sein de leur couple prend une tournure radicale lorsque Signe, désespérée de voir son compagnon accéder à la célébrité en tant qu’artiste, décide de trouver un moyen pour se faire remarquer, tout le temps… quitte à s’en rendre malade.
Ce qui est le plus dur avec Sick of Myself, c’est qu’on a beau trouver Signe et son compagnon profondément antipathiques, on ne peut s’empêcher de se reconnaître un peu en eux. Évidemment, peu de gens au monde iraient aussi loin, c’est le propre de la satire de grossir le trait, mais qui ne s’est jamais senti invisible lors d’un repas, à chercher un sujet de conversation pour attirer l’attention, pour dire « Eh oh, je suis là, regardez-moi ! » ? Un besoin quasi viscéral d’exister dans le regard des autres, de sentir leur intérêt, leur empathie, leur fascination ou leur dégoût même, peu importe tant qu’ils vous regardent.
Malgré le rire gêné provoqué par l’absurdité et le jusqu’au-boutisme de Signe, la comédie se teinte de tragédie dans ce qu’elle raconte de la nature humaine. Qui sommes-nous profondément ? Peut-on exister seul·e quand on est suspendu à l’opinion et au regard des autres ? Et dès lors, jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour exister ?
Si les deux acteurs principaux sont parfaits dans leur rôle de têtes-à-claques insupportables, il faut particulièrement saluer la performance de Kristine Kujath Thorp. L’actrice norvégienne, déjà excellente dans le film Ninjababy, est délicieusement détestable et pathétique dans le rôle de cette narcissique pathologique. Il faut également louer le travail effectué sur la transformation physique de l’actrice par les équipes de maquillage et des prothèses SFX, lesquelles donnent au film une dimension de body horror que ne renierait sans doute pas David Cronenberg.
Avec Sick of Myself, le réalisateur Kristoffer Borgli gratte là où ça fait mal. Il nous offre un miroir grossissant de ce travers présent en chacun de nous, et qui fait que malgré toute notre volonté, nous sommes constamment en recherche de reconnaissance extérieure. En décidant de transformer et détruire son corps afin d’en faire un outil de représentation sociale, le personnage de Signe occupe une fonction cathartique pour les spectateurs que nous sommes. Les stigmates de la maladie deviennent chez elle, et pour nous, la manifestation visible de nos complexes et de notre inconsistance. Un peu comme si l’horreur de notre égocentrisme se révélait au monde.
Bande-annonce
31 mai 2023 – De Kristoffer Borgli, avec Kristine Kujath Thorp, Eirik Sæther, Fanny Vaager