featured_sinners

SINNERS

Alors qu’ils cherchent à s’affranchir d’un lourd passé, deux frères jumeaux reviennent dans leur ville natale pour repartir à zéro. Mais ils comprennent qu’une puissance maléfique bien plus redoutable guette leur retour avec impatience…

Critique du film

Après un premier film très engagé (Fruitvale station) et une carrière poursuivie au cœur des grosses franchises (Creed), Ryan Coogler propose enfin un projet semblant être né de sa propre initiative. Sur le papier, son nouveau long-métrage se veut autant dynamique qu’horrifique, tout en étant une sorte de lettre d’amour au blues et à la culture afro-américaine des années 1930. Malgré toutes ces bonnes volontés, qui au premier abord évoquent un film presque novateur dans son style, Sinners est un enfer plus ou moins pavé d’intentions louables. 

Si la première partie est d’un mysticisme intriguant, installant une ambiance vaudou sincèrement rafraîchissante, surtout au milieu d’un marasme de films d’épouvante se contentant d’empiler cliché sur cliché, il s’avère que la première heure passée, Sinners ne devient que le fantôme du film qu’il aurait pu être. Toutes les bonnes idées posées ça et là dans le but de fantasmer un univers sortant des clous sont lâchement abandonnées : la musique, si chère aux intentions du film, ne sert jamais la mise en scène ou ne bénéficie d’aucune transitions intradiégétiques. Le parti pris s’affirmant comme d’autant plus tragique lorsqu’on comprend que l’une des meilleures scènes du long-métrage n’aura jamais d’équivalent : ce fabuleux moment où époques et ancêtres s’entremêlent dans une danse endiablée, hors du temps, sur un fond de blues digne de Robert Johnson lui-même.

Sinners

Il en est de même pour toute cette mythologie entourant les bayous des états du sud, laissée au placard pour se concentrer sur des stéréotypes vampiriques bien moins attrayants et surtout, déjà vus. Sinners passe son temps à faire des promesses qu’il ne tient pas, préférant faire cohabiter plusieurs films aux concepts différents et parfois antinomiques. Si on repère aisément la référence à Une Nuit en Enfer de Robert Rodriguez, la sauce ne prend jamais, le cadre du film donnant rarement du sens à cette orientation du réalisateur. L’ensemble se perd quelque part entre le trop sérieux pour son propre bien, avec des moments d’émotions plus qu’artificiels, ainsi qu’un duo de Michael B. Jordan dont on peine à saisir l’intérêt, et un comique forcé en tentant de copier un humour « Marvelesque ». 

Cet effondrement global transparaît dans l’image même du film, avec le choix de l’IMAX, technique qui a fait ses preuves notamment sur Oppenheimer de Nolan mais qui semble ici peu maîtrisée. Le flou d’arrière plan s’avère quasi-omniprésent, gâchant plus d’une fois tout travail sur le cadrage des décors dont l’authenticité participe éminemment à l’ambiance fangeuse du titre. Ryan Coogler ne propose pas une œuvre fondamentalement divertissante ni particulièrement effroyable et encore moins une bonne comédie d’horreur. On pouvait être en droit d’attendre le cinéaste sur un point précis : sa représentation d’une culture afro-américaine trop souvent dénigrée ou reléguée à l’arrière plan.

Sinners

Pour quiconque s’étant déjà intéressé de près ou de loin aux origines du blues, le geste pourrait paraître ici abouti. Sinners dévoile plus d’une fois un folklore inaliénable à l’histoire des états-unis et aux anciens esclaves ayant en grande partie créé la richesse du pays. Ryan Coogler ne manque pas de lier le blues aux plantations, au travail forcé mais aussi à la liberté. C’est peut-être là le geste le plus sincère au sein de Sinners, cette détermination à dépeindre l’émancipation. Si le blues est un pacte avec le diable (le fameux « blue devils »), ce n’est pas tant par volonté de péché mais par désir d’affranchissement, de détachement d’un pays qui n’a jamais rien fait pour intégrer ceux qui y avaient été déporté. Vu sous cet angle, la première partie du film est encore une fois celle qui fait le plus sens, dépeignant au mieux cette solidarité communautaire au travers de personnages brusques mais forgés par ce qu’une société raciste a fait d’eux. Le cœur de ce message s’incarnant en l’antagoniste, un vampire très pâle adepte de musique country, souhaitant délivrer les minorités par la conversion aux longues canines, plutôt que par une lutte pour leur autonomie véritable.

Certains y verront peut-être la subtilité d’un éléphant, n’en reste pas moins que l’œuvre porte un message franc et assumé. Sinners n’est pas une catastrophe ambulante, simplement un film n’ayant pas réussi à départager ses volontés. À maintes reprises, on sent les points sur lesquels l’ensemble aurait pu s’appuyer pour délivrer une œuvre bien plus réfléchie. Certes, Sinners livre des moments et des propos qu’on ne voit (vraiment) pas souvent dans un cinéma hollywoodien très codifié, mais si Coogler souhaitait faire un film incarnant un véritable morceau de blues, il faut croire que la moitié de la partition a brûlé en cours de route.

Bande-annonce