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SOMEWHERE

Johnny Marco, auteur à la réputation sulfureuse vit à l’hôtel du Château Marmont à Los Angeles. Il va recevoir une visite inattendue : sa fille de 11 ans.

Critique du film

Après l’échec de Marie-Antoinette, une superproduction américaine incomprise et méprisée à sa sortie, Sofia Coppola a rebondi dès 2010 avec Somewhere, un quatrième long-métrage plus minimaliste et radical qui peut décontenancer, car il ne repose sur aucune intrigue forte. Le personnage, Johnny Marco, une star hollywoodienne résidant dans le légendaire Château Marmont à Los Angeles, se construit au fil des situations. Être désincarné et figé, Johnny Marco tourne en rond entre des rendez-vous sexuels vides de sens, parfois même vides de sexe quand celui-ci s’endort sans prévenir, et une carrière qui semble totalement le désintéresser. 

En capturant la solitude de son protagoniste au travers de longs plans fixes, Coppola marche directement dans les pas d’une Chantal Akerman, qui avait recours au même procédé. Le résultat est particulièrement saisissant dans une scène où les membres d’une équipe d’effets spéciaux d’un film demandent à Johnny de rester immobile le temps qu’ils puissent créer un moule de son visage. Dans une prise de vue qui dure plusieurs dizaines de secondes, la caméra zoome progressivement sur cet homme sans visage, sans identité et dont le seul signe de vie est le bruit de sa respiration. Une fois l’opération terminée, Johnny regarde le résultat dans le miroir. Il réapparaît avec une prosthétique le vieillissant de 30 ans. Sa mine contrite devant cette apparition témoigne d’un premier moment de lucidité quant à sa situation. 

Johnny Marco est un homme qui traverse la vie comme un fantôme. Sa chambre d’hôtel est un véritable moulin où entrent et sortent des inconnus. Il reçoit des messages de numéros de téléphones sans nom qui le désapprouvent et il réceptionne les clés d’une ville dans laquelle il n’est jamais allé. Paradoxalement, tout le monde le connaît sans que lui ait aucune idée de sa propre identité. En conférence de presse, quand un journaliste lui demande « Who is Johnny Marco ? », le visage de Stephen Dorff se crispe légèrement et semble tellement hésitant que le montage vient le sauver de sa crise existentielle pour passer à la scène suivante. 

Somewhere

Le titre même du film donnait une indication quant à la position de son personnage principal dans le monde. Johnny Marco est en permanence quelque part, mais ne semble jamais là. Tout du moins, jusqu’à ce que sa fille Cleo resurgisse dans sa vie. Dans des vignettes tout en légèreté, la réalisatrice tricote, sans dialogues ni psychologisation, la relation entre ce père absent et cette fillette pétillante. 

Ce retour de la famille comme une entité rassurante dénote totalement avec ses trois films précédents. Dans Virgin Suicides, les sœurs Lisbon trouvent dans leur suicide la seule échappatoire à l’enfermement imposé par leur mère. Dans Lost in Translation, le décalage horaire cache un décalage plus profond. Puis, la cour versaillaise de Marie Antoinette, qui lui fait office de famille d’adoption, devient un environnement impitoyable. De Versailles au Château Marmont, on retrouve deux décors différents, mais l’omniprésence de cette même cage dorée qui anesthésie ses proies sous ses cadres bourgeois et sophistiqués.

Le cinéma de Sofia Coppola est celui de la relation entre l’environnement et ses occupants. De ce dialogue entre l’espace et le vivant, chacun de ses films met en avant le même problème : celui de l’inadaptabilité. Dès son quatrième long-métrage, Somewhere représente une forme d’aboutissement dans l’exploration de cette dialectique. Quand la Ferrari de Johny tombe en panne, il n’y a aucun signe d’énervement chez lui. Puis, quand il remporte un trophée en Italie, son visage ne laisse paraitre aucune effusion de joie. La quasi-absence d’interactions de Johny avec son écosystème témoigne de sa crise existentielle. La mise en scène vaporeuse vient alors plonger le spectateur dans le même état de flottement que le protagoniste. Dans aucun autre film de la réalisatrice, son personnage principal n’aura semblé aussi perdu, inadéquat et captif. 


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