SOUDAIN SEULS
En couple depuis 5 ans, Ben et Laura ont décidé de faire le tour du monde en bateau. Avant d’atteindre l’Amérique du Sud, ils font un détour vers une île sauvage, près des côtes antarctiques. En pleine exploration, une tempête s’abat sur eux et leur bateau disparaît. Éloignés du monde, soudain seuls face au danger et à l’hiver qui approche, ils vont devoir lutter pour leur survie et celle de leur couple.
CRITIQUE DU FILM
Depuis bientôt vingt ans, Thomas Bidegain s’est fait un nom comme l’un des scénaristes français les plus connus et reconnus. Outre son illustre collaboration avec Jacques Audiard pour lequel il a signé quatre scénarii entre 2009 et 2018, parmi lesquels Un Prophète (César du meilleur scénario en 2010) et De rouille et d’os (César de la meilleure adaptation en 2013), Thomas Bidegain a tout aussi bien écrit pour des films estimés de la critique comme Saint Laurent de Bertrand Bonello que pour des succès populaires comme La famille Bélier.
Après un premier film comme réalisateur avec Les Cowboys, qui malgré des critiques plutôt favorables avait connu une sortie discrète en 2015, il revient à la barre de son deuxième long-métrage, Soudain seuls. Adaptée du roman éponyme de la navigatrice écrivaine Isabelle Autissier, l’histoire suit un couple parti faire un tour du monde en bateau qui, suite à une tempête, se retrouve échoué sur une île perdue proche du Pôle Sud. C’est alors que le film prend une tournure de survival en condition extrême. Sans ressources ni moyens de communication, ils vont devoir affronter un environnement hostile qui mettra à l’épreuve aussi bien leurs limites physiques que leur amour.
Pour ce deuxième essai comme metteur en scène, Thomas Bidegain a concentré au maximum ses sujets d’attention. Avec l’aide de sa coscénariste Valentine Monteil, ils ont ainsi décidé d’adapter uniquement la première partie du livre d’Isabelle Autissier. Exit donc la deuxième partie à Paris. Soudain seuls, le film, se déroule en un lieu unique, cette île sauvage, aussi rude que magnifique. Pareil pour les personnages qui se comptent au nombre de deux : Ben et Laura, le couple interprété par Gilles Lellouche et Mélanie Thierry. Et c’est tout ! (si l’on omet la figuration de quelques manchots empereur.)
Avec cette unité de lieu et de personnages, dépouillé de tout artifice extérieur, le réalisateur peut se focaliser sur le cœur de son sujet, creuser ce qui l’intéresse vraiment : comment un couple ordinaire, en apparence solide et uni, peut traverser une telle adversité et avec quelles conséquences sur leur histoire ? Autrement dit, comment ce contexte si particulier influe sur la dynamique et les rapports de force qui se sont établis durant leurs années de vie commune ?
Pour représenter les paysages arides de ces terres australes abandonnées, le réalisateur français et son équipe ont posé leur caméra sur les côtes islandaises. Devenu un lieu de tournage récurrent dès lors qu’il s’agit de figurer une nature grandiose et immaculée, ils ont réussi à capter une vision singulière de l’île. À la fois resplendissante et menaçante, cette bande de terre indomptable est le troisième personnage du film. Là bas, la nature toute puissante a repris ses droits, ne laissant subsister que quelques minces vestiges d’une lointaine activité humaine, comme pour mieux signifier sa supériorité sur l’homme.
Pour survivre, le couple va devoir affronter ses peurs mais aussi sa propre histoire et son passé. L’isolement et l’incertitude font éclater les secrets et les non-dits. La difficulté rebat les cartes au sein du couple, et les positions s’inversent au fur et à mesure que le temps passe et que la survie devient de plus en plus précaire. Celui qui paraissait solide et rationnel devient impulsif et irréfléchi sous la panique, là où celle qui semblait passive et fragile se révèle être dotée d’une volonté insoupçonnée. Mélanie Thierry et Gilles Lellouche, avec justesse, parviennent à donner corps et vie à cette union, en apportant l’un comme l’autre ce qu’il faut de leur personnalité.
Cette évolution au sein du duo est possible en raison du parti pris du scénario. Généralement, dans ce genre de film, on suit deux personnalités que tout oppose au début, qui vont apprendre à se découvrir au gré des épreuves, et finissent par s’unir. C’est l’inverse dans Soudain seuls, où nous suivons un couple déjà établi à la ville, visiblement amoureux, et dont les fissures se font jour sous la lumière blanche de cette île inhospitalière de la région antarctique. Cette relative modernité dans l’écriture (peut-être en partie l’apport de Valentine Monteil, la jeune collaboratrice du réalisateur-scénariste) se ressent particulièrement dans le dernier acte du film, où le focus se porte sur le personnage de Laura, et son incroyable résilience.
Les deux personnages vont devoir aussi apprendre à dépasser leurs limites morales. Dans cette zone du globe, les règles ne sont pas les mêmes que d’où ils viennent, où le confort du monde moderne et civilisé subvient à tous leurs besoins. Ici la nourriture se fait rare, et les occasions de manger ne se négocient pas. Ben et Laura vont en faire la dure expérience dans une scène marquante du film que les amoureux nostalgiques de La marche de l’empereur ne risquent pas d’oublier.
Dans ce genre déjà éprouvé du cinéma qu’est la robinssonade, Soudain seuls parvient à se démarquer grâce à son choix de placer un couple déjà constitué au cœur de son survival. Face à eux, le réalisateur dépeint un monde sauvage, une nature toute puissante qui donne et qui reprend. Cette remise en perspective de la place de l’homme sur cette terre rappelle à tout un chacun le caractère éphémère de notre passage et que tout ce que nous faisons finira par disparaître. Avec cette réalité inéluctable, ne reste alors qu’à vivre et prendre conscience de la valeur du moment présent et de la chance de traverser la vie et ses épreuves à deux, porté par l’amour de l’autre. Doté d’un sens réel de la mise en scène et d’une esthétique puissante, Soudain seuls est bien plus qu’un « film de scénariste », et démontre s’il le fallait, que Thomas Bidegain a tout pour s’affirmer comme un grand réalisateur.
Bande-annonce
6 décembre 2023 – De Thomas Bidegain, avec Gilles Lellouche, Mélanie Thierry