STAR WARS : L’ASCENSION DE SKYWALKER
La conclusion de la saga Skywalker. De nouvelles légendes vont naître dans cette bataille épique pour la liberté.
Critique du film
ATTENTION : cette critique comporte de nombreux spoilers
Toutes les bonnes choses ont une fin. Quarante-deux ans après la première aurore sur la planète Tatooine, les soleils se couchent enfin sur la saga des Skywalker. Contrairement à 2005, nous savons que nous ne disons pas adieu à Star Wars, désormais l’apanage de la superstructure Disney, qui entend bien étendre (et rentabiliser) l’univers de cette franchise mythique. Nous savons aussi que les « marcheurs des étoiles » doivent partir un jour ou l’autre, rejoignant à jamais la force, pour ne laisser derrière eux que le fantôme lumineux de l’un des pans les plus importants de la pop culture contemporaine. La conclusion s’accompagnera d’un travail de deuil, aussi bien pour le fan passionné que pour le spectateur plus distant. Plusieurs Skywalker nous ont déjà quittés : outre Anakin/Vador dans l’épisode VI et Luke dans l’épisode VIII, Carrie Fisher, l’interprète de la princesse Leia, a définitivement rejoint les étoiles le 26 décembre 2016.
Le temps des adieux
La trilogie de Disney marque le crépuscule de nos idoles, en les plongeant dans une histoire qu’ils connaissent déjà, et dont ils ne veulent plus être les héros. Même si leurs visages reflètent encore la magie de cette formidable mythologie dont ils étaient les acteurs, la fin est certaine, et leur départ inévitable. La relève des Skywalker est désormais incarnée par le personnage de Rey, consacrée comme la figure centrale de la saga depuis l’épisode VIII, là où le septième équilibrait la force entre elle, Finn et Poe. Reste à savoir si elle est une Skywalker, ou bien si elle en est digne…
Aux commandes de ce nouvel opus, J. J. Abrams, déjà réalisateur du Réveil de la force. Héritier des sagas (Star Wars, Star Trek), ll avait justement conçu l’épisode VII comme son propre reflet, explorant la question de son positionnement par rapport à l’univers Star Wars, plutôt que sa mythologie elle-même, bloc immuable défendu de prêt par des fans passionnés hostiles au moindre changement. Il donne alors ses lettres de noblesses à la métafiction postmoderne, tic de langage cinématographique aujourd’hui source de remakes, reboots et autres « hommages » qui donneraient le sourire au méchant de Ready Player One.
Entre temps, Rian Johnson réalise Les Derniers Jedi : confirmation que la force est accessible à tous, élimination du grand méchant au milieu du film, scène de lévitation spatiale et effritement de la frontière Sith/Jedi, le film marque pour ses partis-pris inédits, même s’ils sont largement moins nombreux que ceux de la prélogie de George Lucas.
C’est donc à partir de ces choix qu’Abrams doit conclure la saga, au travers d’un volet qui fusionne certaine caractéristiques des épisodes V et VI. N’en déplaise à Johnson, qui avait postulé que les parents de Rey n’étaient que des inconnus, Abrams entend inscrire son héroïne dans une lignée mythique, afin de reprendre en main le mystère de ses origines. Quand la nouvelle tombe, c’est la sidération (ATTENTION SPOILER) : Rey est la petite-fille de l’empereur Palpatine, le grand méchant revenu d’entre les morts, maintenu en vie par une secte adoratrice des Sith. Dès lors, Abrams subvertie le thème de l’héritage, en n’utilisant plus le statut d’antéchrist comme une finalité (Dark Vador), mais bien comme un point de départ.
Antéchrist des étoiles
Peut-on être quelqu’un de bon lorsque le mal imprègne notre lignée ? Cette question était déjà posée dans la première trilogie, mais elle est ici radicalisée, Palpatine incarnant une altérité absolue, malfaisante, cruelle, dont il est très difficile de s’en défaire. Abrams ne recule donc pas pour rien, car cela permet d’inclure Rey dans un vertige mythologique, où la question du doute rejoint (de nouveau) celle de l’héritage.
Promise impératrice de la galaxie par son grand-père décrépi, la jeune femme découvre les vestige d’un palais infernal, où de sombres entités encapuchonnées siègent en attendant l’avènement de leur guide. Ce palais, c’est celui des Sith, lieu de tous les dilemmes. Abrams renoue alors avec les motifs de la prélogie, incarnant enfin dans ce lieu, plastiquement sublime, la longue histoire des ennemis historiques des Jedi. La flamboyance des Dark Maul et autres Comte Dooku laisse place à de grotesques créatures chuchotant dans le noir, voire même à l’horreur lorsque Palpatine apparaît à l’écran. D’ailleurs, l’une des premières séquences où il apparaît, malheureusement imbriquée dans un montage brouillon dont on ne saisit le sens que trop tardivement, joue clairement avec le registre horrifique, l’empereur déchu ne révélant ses yeux blancs qu’à la lumière d’un immense tube remplis de corps biscornus.
Un ennemi encore plus monstrueux, mais aussi encore plus redoutable qu’auparavant. Abrams a mis les bouchés double, offrant à son antagoniste principale une improbable flotte de Destroyer, qui ont la particularité d’être tous munis de canon destructeurs de planètes. On se demande bien comment il a pu acquérir ces innombrables vaisseaux, mais la très probable incohérence scénaristique est compensée (plus ou moins) par la fascination face à la démesure visuelle. Autant dire que Rey s’est trouvé un ennemi de taille. Elle sait désormais d’où elle vient, mais n’a pas encore vraiment déterminée qui elle est : une Palpatine ou… une Skywalker ?
Le règne des Skywalker ?
À partir du moment où Rey découvre son nom de famille, l’ambitieuse idée de démocratiser la force est balayée d’un revers de sabre laser. On pourrait dire qu’Abrams ménage la chèvre et le chou, en octroyant à Finn quelques micro-séquences où la force semble l’habiter. Il n’en demeure pas moins que la filiation Palpatine/Rey, par ailleurs assez improbable (l’empereur est peu ragoutant), est un pied de nez à la bonne vieille aristocratie de la force, où le destin exceptionnel est consubstantiel d’une lignée exceptionnelle.
Ce recul d’Abrams est vraiment dommageable, même si cela profite un peu à l’ampleur dramaturgique du film. Rey fait désormais partie de la grande histoire de la force, trouvant enfin un sens explicite à sa tâche. Elle contient en elle toute la mémoire de la saga, notamment celle des Jedi, dont nous entendons pratiquement toutes les voix lors de l’affrontement final. Certains parlerons de fan-service, mais qu’importe, le frisson est là (enfin). Rey a choisi : elle est une Skywalker.
Du coup, quid de Ben Skywalker, aka Kylo Ren ? Abrams n’apporte pas grand chose de plus à la caractérisation de son personnage, ne faisant que concrétiser ses doutes concernant sa propre identité. Le retournement de situation est attendu, prévisible même, le film ne cherchant pas à explorer d’autres pistes, gâchant ainsi son potentiel. Ben n’aura jamais vraiment trouvé sa place, ce qui rend son personnage presque touchant, malgré lui.
On l’aura compris, il n’y a pratiquement que Rey qui intéresse Abrams. Poe et Finn n’ont même plus d’arcs narratifs propres, et tous les « anciens » ne sont plus que des conseillers fantomatiques de l’ombre. Les séquences où apparait Carrie Fisher sont atrocement expéditives, même s’il est clair que le montage a été impacté par sa disparition prématurée.
Enfin, L’Ascension de Skywalker est aussi le film de la nouvelle trilogie qui comporte le plus d’aberrations scénaristiques. Outre l’improbable flotte impériale et la supposée amourette de Palpatine, on peut également parler du détecteur de Sith, dont l’origine n’est pas clairement expliquée, ou bien le revirement de Kylo Ren, qui se contredit en révélant à Rey sa filiation (coucou Rian Johnson !), et qui semble plus globalement avoir tout oublié de l’épisode VIII.
Même si, en termes de mise en scène pure, ce volet comporte de nombreux moments de grâce condensés dans une dernière heure absolument renversante, il est difficile d’oublier l’introduction brouillonne, les multiples incohérences et le manque criant d’ambition mythologique. De même, sa position à l’égard de son prédécesseur est presque révoltante, se prostituant aux attentes d’une fan-base à l’imagination étriquée. On ne boude pas le plaisir du final, mais il est vraiment regrettable que cet ultime volet, à l’image de la trilogie Disney, ne soit qu’un proto-remake stérile et peureux de la première trilogie, dont il ne retrouve jamais vraiment la grâce.
Bande-annonce
18 décembre 2019 – De J. J. Abrams, avec Daisy Ridley, Adam Driver, Oscar Isaac