STARS AT NOON
Critique du film
Claire Denis a une place atypique au sein du paysage cinématographique français. Peu connue du grand public, la cinéaste signe depuis plus de trente ans des films singuliers, qui provoquent systématiquement le débat et divisent fortement la critique. Ce qui n’empêche pas la réalisatrice de Trouble Every Day de mener une carrière internationale et d’être régulièrement sélectionnée dans de prestigieux festivals. En février dernier, elle recevait d’ailleurs l’Ours d’argent de la meilleure réalisation à Berlin pour Avec amour et acharnement, drame parisien avec Juliette Binoche et Vincent Lindon. On la retrouve quelques mois plus tard en compétition officielle à Cannes avec un projet radicalement différent, tourné fin 2021 en langue anglaise au Nicaragua.
L’intrigue de Stars at Noon est pour le moins nébuleuse. Essayons malgré tout de tirer quelques lignes narratives pour tenter de résumer la chose. Il est donc question de Trish, journaliste américaine désœuvrée et sans le sou, se retrouvant bloquée au Nicaragua pour une sombre histoire d’article mal passé auprès du régime en place. Son passeport confisqué, la jeune femme tente de glaner de l’argent comme elle peut en vendant ses charmes à des hommes qui pourraient potentiellement l’aider à quitter le pays (un vice-ministre, un militaire). Au bar d’un hôtel de luxe, elle rencontre Daniel, jeune anglais ténébreux (oui, il fronce beaucoup les sourcils) dont elle s’éprend rapidement. Le début des ennuis pour les tourtereaux, embarqués au milieu d’un complot diplomatique qui va mettre leur vie en danger.
Comme à son habitude, Claire Denis n’a que faire d’offrir au public des enjeux narratifs qui suscitent un tant soit peu d’intérêt. On ne sera donc pas étonné de ne pas comprendre grand-chose à cette pseudo histoire d’espionnage sur fond d’instabilité politique nicaraguayenne. Si la réalisatrice adapte un roman du journaliste Denis Johnson (inspiré de sa propre expérience pendant la révolution sandiniste), les enjeux géopolitiques sur lesquels reposent une grande partie du récit semblent la désintéresser au plus haut point. La situation troublée du Nicaragua en 2021 est reléguée à une vulgaire toile de fond, un pauvre décorum interchangeable dans lequel s’agitent quelques militaires pour faire illusion du danger qui guette les deux héros. Pire, le scénario a très souvent besoin d’avoir recours à des personnages secondaires ou tertiaires sortis de nulle part (mention spéciale à l’agent de la CIA interprété par le pauvre Benny Safdie) afin de contextualiser le hors champs et donner un peu de sens à l’ensemble.En vain.
La réalisation semble donc avoir jeté complètement son dévolu sur le développement de ses personnages. Mais là encore, le ratage est total. Claire Denis a déclaré vouloir raconter l’histoire d’un amour qui éclot uniquement en raison du contexte dangereux dans lequel se trouve les personnages. Point de vue plutôt intéressant sur le papier. Encore faudrait-il que celui-ci soit incarné un minimum à l’écran. Passons sur les dialogues risibles et abscons à base de « Tu faisais quoi aux Etats-Unis ? Un peu de ci et un peu de ça, surtout de ça » déblatérés par des personnages creux dont la caractérisation se rapproche du néant absolu. Non seulement, la présentation qui nous est faite de Trish et Daniel demeure trop chiche pour crédibiliser leurs actions, mais leur évolution à travers le récit se révèle bien souvent inconsistante, voire complètement aberrante face aux (rares) enjeux dramatiques posés. Ainsi, la notion de danger est sans cesse désamorcée par les amants qui affrontent chaque problème avec le plus grand calme olympien (ils risquent quand même de se faire tuer d’un instant à l’autre !), tout cela en n’oubliant pas de faire l’amour toutes les cinq minutes. Ce qui nous amène à des scènes d’amour à l’utilité plus que discutable, qui ne fonctionnent jamais, la faute à un manque d’alchimie évident entre les deux comédiens.
Au sortir du visionnage de Stars at noon, difficile de savoir exactement quelle était l’intention de départ de Claire Denis. On y décèle l’envie de raconter la romance fiévreuse entre deux personnages ambivalents dans un cadre extraordinaire et exotique. Malheureusement, le film échoue à tous les niveaux, pâtissant d’un rythme bizarroide, une absence de dramaturgie et des personnages sans aspérité. Un naufrage complet où tout sonne faux, à commencer par la présence d’un tel film en compétition à Cannes !
Bande-annonce
14 juin 2023 – De Claire Denis, avec Margaret Qualley, Joe Alwyn, Danny Ramirez