SUPER MARIO BROS, LE FILM
Critique du film
C’est une musique entêtante, rabâchée à longueur de temps : malgré toute la bonne volonté du monde, un jeu vidéo ne peut pas devenir une bonne œuvre de cinéma. La raison à cet adage est purement pragmatique : en présupposant que le cinéma pourrait être une grande synthèse de nombreux arts (littéraire, musical, graphique / pictural…), le déplacement d’une œuvre vidéoludique vers le 7ème Art déplorerait une absence : celle de l’interactivité « manuelle » entre le joueur et le medium. En effet, que resterait-il d’une épopée sur console si l’on se voyait retirer la manette des mains ?
Certes, certains exemples sortent du lot et prouvent que c’est possible, bien que l’on puisse être plus sévères sur les qualités purement ludologiques des titres en question (The Last Of Us notamment). Néanmoins, la licence Super Mario Bros était le meilleur exemple de cette hypothétique impasse « intermédiale » : son accroche directe et son aspect narratif ne se comprennent que par le dialogue incessant entre les touches d’action de la console de jeux et la gestuelle emblématique du plombier le plus célèbre de l’histoire du jeu vidéo.
Ainsi, adapter pour la salle de cinéma la licence de Shigeru Miyamoto et Takashi Kezuka revêtait deux enjeux majeurs. D’une part, il fallait parvenir à traduire un mouvement vidéoludique particulier en film sans tomber dans le hors-sujet (la première adaptation signée Rocky Morton pourrait en témoigner). D’autre part, il était nécessaire de créer de toutes pièces un fil conducteur cinématographique qui parviendrait à épaissir un personnage dont les seuls attributs étaient ses propriétés physiques et cinétiques.
Ce deuxième point était la grande interrogation de toutes les bandes-annonces de Super Mario Bros, le film. Si celles-ci présentaient une direction artistique qui paraissait aux petits oignons, elles restaient toutefois très floues quant à la teneur narrative du projet. Il y avait de quoi : passé l’incipit intriguant annonçant l’armée de Bowser et la soif de pouvoir du monstre écaillé, le film abandonne ses perspectives martiales et sérieuses au profit d’un « fan service » hétérogène et décousu.
Musique d’introduction inopportune de la console Game Cube, réorchestration aléatoire de tous les thèmes de tous les jeux au milieu d’une playlist pop aberrante (que viennent faire AC/DC et A-ha dans une adaptation de Mario ?), apparitions furtives de plusieurs espèces de la licence pour signifier leur présence : Super Mario Bros, le film est une vaste galerie de clins d’œil tellement imposants que le récit lui-même paraît être un parasite formel. Massacré de toutes pièces, le canevas narratif s’approche d’abord des théories du monomythe campbellien, avant de s’auto-détruire et de prendre d’autres directions absurdes.
Lorsque Mario, jeune plombier désargenté issu de Brooklyn, atterrit par mégarde dans le royaume Champignon, nous nous attendons à ce qu’il devienne le jeune élu qui va apprivoiser ses immenses capacités et sauver le monde. Néanmoins, son agilité physique le rendant capable de se sortir des situations les plus délicates est déjà connue avant même qu’il n’arrive dans cet univers alternatif, par le biais d’une séquence embarrassante en travelling latéral le montrant sauter de case en case vers sa destination. Par ce biais, le principe du « Voyage du héros » cher à ce même Joseph Campbell est aboli avant même sa propre introduction dans l’histoire, et le reste des séquences d’initiation de Mario ne servent qu’à lister différents artefacts qui n’auront eux-mêmes que très peu d’incidence dans la suite de sa quête.
Bowser, annoncé en introduction comme l’antagoniste à l’harmonie de ce petit univers fantastique, passe la majeure partie de son temps à pousser la chansonnette, isolé du reste des personnages et absent comme l’était Piccolo dans l’effroyable Dragonball Evolution de James Wong. Son caractère pataud le rend inoffensif, incapable de susciter le moindre sentiment de menace ou de crainte ne serait-ce que pour un nourrisson qui tomberait par hasard sur le long-métrage. Certains personnages, présentés comme des adjuvants au héros ou des êtres particuliers en raison de leurs caractéristiques physiques spéciales, n’ont finalement aucune consistance voire disparaissent carrément du récit pour réapparaitre plus tard le temps d’une blague.
Difficile de ne pas penser au personnage de Toad, side-kick comique qui accompagne le protagoniste dans ses aventures, qui s’évapore le temps de quelques séquences tant il ne sert à rien d’autre qu’à alimenter un humour hystérique indigne des pires blagues des jeux Paper Mario. Par conséquent, le film indigeste devient une vitrine Nintendo sans déguisement, incapable elle-même de choisir échantillonner de ces titres phares (sans transition se suivent des séquences de plateformes classiques, puis d’arènes à la Super Smash Bros, puis de kart, avant de finir par un final digne de Mario Odyssey) et qui saborde le peu de langage cinématographique qu’il proposait en amont.
PRESS RESET
Le résultat est d’autant plus décevant que Super Mario Bros, le film démontre, par touches, que le studio d’animation français Illumination avait le moyen de créer une œuvre cinématographique avec la matière qu’elle propose brièvement. Par exemple, lorsque Luigi et Mario découvrent chacun de leur côté le nouveau Royaume qui les entoure, une vraie volonté de cinéma transparait à l’image. La scène de poursuite entre Luigi et une armée de Skelerex est probablement la meilleure séquence du film, métamorphosant la recomposition du squelette des tortues maléfiques de Bowser par un mouvement d’animation impressionnant et bien retravaillé.
De même, au moment où Mario rencontre Peach et que la princesse lui annonce qu’il va devoir s’entraîner pour enfin devenir le héros qu’il ne pensait jamais être, le parallèle avec la première prise en main de Mario par le joueur aurait pu être encore plus étayé dans un geste artistique proche du medium, qui dépasse l’énumération poseuse de gameplays aligné par ordre chronologique de sortie des jeux sur le marché international. Il y aurait donc de quoi faire un bon film d’un jeu vidéo. Il suffit juste de s’en donner les moyens artistiques et d’avoir à bord un scénario structuré. Un comble, pour une commande d’un studio de jeu vidéo réputé pour la clarté de sa vision d’ensemble.
Bande-annonce
5 avril 2023 – D’Aaron Horvath et Michael Jelenic, avec les voix de Chris Pratt, Anya Taylor-Joy et Seth Rogen.