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SYMPATHIE POUR LE DIABLE

Sarajevo, novembre 92, sept mois après le début du siège. Le reporter de guerre Paul Marchand nous plonge dans les entrailles d’un conflit fratricide, sous le regard impassible de la communauté internationale. Entre son objectivité journalistique, le sentiment d’impuissance et un certain sens du devoir face à l’horreur, il devra prendre parti. 

Critique du film

Le siège de Sarajevo a duré sept ans. Il est de ce fait le plus long vécu par une ville au XXème siècle. C’est également un événement central d’un conflit au sein de l’ex-Yougoslavie qui a marqué au fer rouge la décennie. Il fut la preuve qu’au cœur même de l’Europe, l’horreur de la guerre pouvait encore exister, ce sur une durée assez inouïe. Le choix de ce sujet par le canadien Guillaume de Fontenay pour réaliser son premier long-métrage Sympathie pour le diable est déjà, en soi, un acte politique intéressant. Peu de films se sont intéressés à cette guerre, du coté des journalistes mais aussi des peuples. Deux personnages caractérisent ce choix, Paul Marchand, français présent sur les lieux depuis le début du siège, et Boba, femme serbe vivant à Sarajevo depuis l’enfance. L’articulation qui rassemble ces deux acteurs est le point majeur du film : leur intensité est le cœur de l’action, rythmant tout le film.

Un casting très réussi avec un grand Niels Schneider

Niels Schneider incarne ce journaliste, lui conférant son jeu fiévreux. Dès les premiers instants, où l’on retrouve Marchand se lavant frénétiquement dans une douche sans eau, on comprend qu’on va assister à une histoire menée tambour battant. S’il enchaîne les cigares, gimmick tout d’abord un peu énervant, il ne s’arrête surtout jamais. Que ce soit à pied, d’un lieu à un autre au petit trot, ou bien fonçant en voiture sur des routes interdites où sévissent des snipers distillant la mort à chaque instant. 

De prime abord, ce personnage peut paraître un peu agaçant, hautain et imbu de lui-même. On découvre bientôt que Marchand est avant tout complètement absorbé par ce qu’il fait, l’idée de rendre compte de ce qu’il se passe à Sarajevo. Loin de penser à sa carrière, de se protéger derrière son statut de journaliste français, il se met en première ligne pour la population de cette ville qui est devenue la sienne depuis plusieurs mois.

Le déclic semble être sa rencontre avec Boba, superbe Ella Rumpf remarquée dans le Grave de Julia Ducournau (2017). L’alchimie entre eux n’est pas évidente au premier abord. Comment une histoire d’amour peut-elle naître dans des conditions si extrêmes ? En pleine zone de guerre, au milieu des drames et des larmes, une improbable scène de boite de nuit, magnifiquement filmée par Guillaume de Fontenay, prouve que la vie et les sentiments n’ont que faire de la difficulté.

L’implication absolue de Marchand pour les habitants de Sarajevo, les risques toujours plus grands qu’il prend, tout cela l’amène naturellement à Boba. Elle est sa ville, à l’instar de Nedjma dans le très beau Papicha de Mounia Meddour, elle refuse de la quitter, car selon ses propres mots, il faut bien que certains restent. Sympathie pour le diable est sublime par son sujet, mais il n’en oublie pas d’être un très beau film de cinéma qui brille également par sa mise en scène.

Comme un rappel 

En effet, le réalisateur réussit à ne jamais se perdre dans son récit, grâce à des rebondissements jouxtant chaque scène, avec des sommets d’émotions parfaitement gérés. Grâce à une galerie de personnages tous très bien écrits et interprétés, Fontenay crée un film terrible dans ce qu’il montre, sait aussi être drôle, surprenant, aussi fou par instant que Marchand. Malgré des moments de respiration, on ressort presque étouffé et éreinté d’un film qui ne ménage pas son spectateur.

Plus qu’un simple plaidoyer pour le métier très difficile de journaliste en zone de guerre, Sympathie pour le diable rappelle qu’en cette toute fin de siècle des populations mourraient en plein cœur de l’Europe. Certaines scènes rappellent la responsabilité des États, dont la France en premier lieu, attentistes devant les horreurs proférées sous leurs yeux. Certains détails sur le non-engagement des troupes occidentales font froid dans le dos par leur cynisme et leur manque d’humanité.

De la première à la dernière scène, Guillaume de Fontenay déroule son propos avec beaucoup de force, réussissant presque tout, grâce à un très beau duo d’acteurs et une mise en scène inspirée.

Bande-annonce

27 novembre – De Guillaume de Fontenay, avec Niels Schneider, Ella Rumpf, Vincent Rottiers