THE BIG LEBOWSKI
Jeff Lebowski, prénommé le Duc, est un paresseux qui passe son temps à boire des coups avec son copain Walter et à jouer au bowling, jeu dont il est fanatique. Un jour deux malfrats le passent à tabac. Il semblerait qu’un certain Jackie Treehorn veuille récupérer une somme d’argent que lui doit la femme de Jeff. Seulement Lebowski n’est pas marié. C’est une méprise, le Lebowski recherché est un millionnaire de Pasadena. Le Duc part alors en quête d’un dédommagement auprès de son richissime homonyme…
Strike burlesque
Sorti en 1998, The big Lebowski des frères Coen s’inscrit dans une longue généalogie cinéphilique du film noir, qui prend ses racines dans le roman incontournable de Raymond Chandler, Le Grand Sommeil. Ainsi, l’oeuvre de Chandler, ses intrigues complexes, ses personnages de riches corrompus et de femmes fatales sont réinvestis, mais en confrontation avec l’univers proprement burlesque des Coen.
Le burlesque, ici, repose sur le fait que les personnages sont tout simplement indisposés à affronter la noirceur et la complexité de l’intrigue. Jeff Lebowski est quelqu’un qui ne souhaite ni exister ni s’investir dans la moindre parcelle de la société dans laquelle il vit. Après avoir fait partie de la jeunesse contestataire des années 1970, le « Dude », conscient de son échec, décide finalement de « se foutre de tout ». En témoigne la scène « grandiose » où « his Dudeness », achetant une bouteille de lait au supermarché (en robe de chambre, bien sûr, et payant par chèque, s’il-vous-plaît !), regarde de façon indifférente le visage de Georges Bush sur l’écran de télévision, dans le contexte de la guerre du Golf.
Non, le « Dude » n’a que faire de la politique. Ce qui compte fondamentalement pour lui, c’est de trouver sa place dans la société, de la façon la plus apaisée et la plus détachée possible. Face au consumérisme à outrance, Lebowski se contente de plaisirs simples : écouter le chant des baleines dans son bain à la lumière de quelques chandelles et d’un reste de joint, concocter et déguster de délicieux cocktails « White Russian », savourer le son mythique de ses cassettes de Creedence, et, bien évidemment, jouer au bowling.
Le « Dude », c’est la simplicité, frôlant, il est vrai, le pitoyable, mais élevée à une espèce de grandeur et de quiétude magnifique. Au fond, face aux dégénérés qui peuplent le film, la vie du « Dude » n’est pas si mal, trouvant dans sa pratique du lâcher-prise une forme de détachement tout à fait apaisant.
Bref, le « Dude » est tout le contraire d’un héros. Pourtant, le hasard des choses en a décidé autrement. Le « Dude » est ainsi contraint d’affronter une situation à laquelle il n’était pas prédestiné. Tout ceci pour une simple confusion avec son homonyme, l’autre Lebowski, vieux millionaire en fauteuil roulant. Ce dernier est l’exact opposé du personnage joué par Jeff Bridges, en ce sens qu’il incarne l’idéal de la réussite sociale et financière. En fait, le drame du « Dude », c’est qu’on le prend pour quelqu’un qu’il n’est pas, mais qu’il est obligé d’incarner, tant bien que mal.
Ce quelqu’un, c’est tout simplement le héros. De fait, dans The Big Lebowski, les héros ne sont jamais à la hauteur, voir totalement absents. En effet, le « Dude » n’est pas tout seul dans cette histoire : ses amis, Walter Sobchack (John Goodman) et « Donny » Kerabatsos (Steve Buscemi), sont « là », à ses côtés, pour tenter de trouver le fin mot de l’histoire, en vain.
De fait, tandis que le pauvre « Donny » est totalement évacué de l’histoire par sa transparence et sa simplicité, Walter, véritable énergumène obnubilée par l’héritage qu’a laissé la guerre du Vietnam dans sa mémoire ainsi que par sa conversion à la religion juive, se trompe systématiquement dans ses conseils apportés au « Dude ».
Les héros de The Big Lebowski échouent, systématiquement, et ne retireront rien (ou presque) de ce qui s’est passé. Le déterminisme de l’intrigue policière n’aura même pas eu raison d’eux, tant leur stupidité ou leur mollesse est prégnante. l’Amérique de The Big Lebowski est une Amérique incapable d’assumer l’exigence cinéphilique des personnages propres au film noir. Cet écart constitue l’essence même du burlesque, mais incarne également un message porteur d’une douce et ironique insouciance. En cela, le « Dude » a déjà tout compris.