thebrutalist

THE BRUTALIST

L’histoire, sur près de trente ans, d’un architecte juif né en Hongrie, László Toth. Revenu d’un camp de concentration, il émigre avec sa femme, Erzsébet, après la fin de la Seconde Guerre mondiale aux Etats-Unis pour connaître son  » rêve américain « .

Critique du film

2014 est une année charnière pour Brady Corbet, visage connu comme acteur, dans des rôles comme Funny Games US (2007) de Michael Haneke, ou encore Melancholia (2011) de Lars von Trier. Il met en parenthèses à partir de cette date sa carrière d’acteur pour se concentrer sur son désir de mise en scène. Son premier long-métrage, L’enfance d’un chef, sort en 2015, avec un beau casting mené par Robert Pattinson et Bérénice Béjo. Malgré ces atouts, il ne trouve pas son chemin jusque dans les salles françaises mais atteste de la naissance d’un regard et d’une grande ambition formelle. Vox Lux (2018) n’a pas plus de chances en terme de distribution, malgré encore une fois la présence de stars au générique, comme Natalie Portman ou Jude Law. The Brutalist, son troisième film, naît de cette période et de ce désir de réaliser une œuvre somme, où l’ampleur, plus de 3h30, rivalise avec la recherche technique.

Corbet étonne en premier lieu par le choix de la pellicule 70mm Vista vision, un format rare qui est un parti pris esthétique fort, qui permet de coller au plus près à une certaine idée du cinéma américain. Son histoire parle à la fois de survivants de la Shoah, Laszlo et Eszebet, mais aussi d’immigration après 1945 aux États-Unis, pour se donner une deuxième chance après l’horreur qui les a touchés tous les deux. Séparés pendant le conflit, l’un à Buchenwald, l’autre à Dachau, c’est séparé qu’ils entament le film, Laszlo se retrouvant seul à New-York après son arrivée à Liberty Island, point de départ de bien des immigrants aux XIXe et XXe siècle. Si la figure est bien connue, Corbet réussit à créer quelque chose de bouleversant et tumultueux, avec un mouvement perpétuel qui souligne l’urgence du moment.

Dès ce premier acte, les parallèles avec The Immigrant de James Gray sont patents : le nouvel arrivé va demander l’aide d’un cousin, hongrois comme lui, et ses espoirs sont vite déçus à cause d’un cynisme et d’une hostilité imprévus de la part de cette famille déjà bien installée. Mais Brady Corbet est moins linéaire et littéral que son compatriote en cela qu’il maintient en permanence une tension qui est communiquée tant par le scénario que par l’image, comme s’il voulait que son spectateur soit bousculé en permanence et ne trouve pas de marques et de zone de sécurité. Cela tient notamment à un élément introduit très tôt dans le film avec la toxicomanie de Laszlo. Présentée comme un remède à une blessure grave au visage, cette prise de drogue est comme un fil rouge pour le personnage, témoin régulier de crises de désespoir et de perte de confiance en lui qui le plonge ponctuellement dans des abysses insondables.

The brutalist

Si l’architecture devient le centre névralgique du film, c’est pour mieux laisser en hors-champ les véritables enjeux, à savoir le syndrome du survivant des camps et la place impossible à trouver au sein d’une société qui ne veut pas d’eux. Toute cette rage est intériorisée, peu de dialogues la manifestent de façon explicite, pour mieux ressortir comme une surprise frémissante quand on croit qu’elle est définitivement maîtrisée. Laszlo est un corps en souffrance permanente, qui ne trouve aucun repos, pas même dans ses retrouvailles avec Eszebet et sa nièce Szofia. Enfin réunis après des années de séparation, le couple ne se reconnaît pas. Entre eux s’établit un fossé qui n’est comblé que par une scène magnifique de prise d’opium commune pour endiguer les douleurs atroces d’Eszebet. C’est uniquement à cet instant que les confessions vont être faites, et même alors elles sont effectuées en dehors du regard du cinéaste, comme une pudeur supplémentaire nécessaire.

À force de mettre en scène un tumulte vertigineux assez déstabilisant, cela finit par coûter au film la solidité de sa structure. En effet, la deuxième partie du film est moins digeste, malgré un moment sublime à Carrare, territoire emblématique du marbre du même nom, où l’architecte hongrois est venu rechercher la matière nécessaire à l’accomplissement de son grand œuvre en Pennsylvanie. Après plus de trois heures à bouleverser nos sens, Brady Corbet peine quelque peu à conclure son histoire, son épilogue étant reçu de manière un peu trop brutale, dans une clarté qui détonne, des explications très simples étant données à des questionnements qui, jusqu’ici, n’avait connu aucune réponse véritable. Mais ces bémols sont peu de choses face au gigantisme de l’édifice, qui, à l’image d’un Il était une fois en Amérique de Sergio Leone, construit une vision de l’Amérique plus grande que la vie, ici sans romantisme, dans une noirceur poisseuse et impitoyable.


De Brady Corbet, avec Adrien Brody, Felicity Jones et Raffey Cassidy


Mostra de Venise 2024