THE CARD COUNTER
Un joueur et ancien militaire du nom de William Tell vient en aide auprès d’un jeune homme, vulnérable et en colère. Ils souhaitent se venger d’un ennemi commun de leur passé.
Critique du film
A 75 ans, Paul Schrader semble toujours animé d’un désir de cinéma intact. Connu dans un premier temps comme un scénariste vedette, après un passage par la critique, notamment avec Martin Scorsese et Taxi Driver, il réalise une vingtaine de long-métrages aux tonalités très diverses. Du très beau Blue collar avec Harvey Keitel et Richard Pryor en 1978, à Sur le chemin de la rédemption avec Ethan Hawke, c’est un chemin d’auteur au courant alternatif qu’a creusé le scénariste de Raging bull. Son nouveau, The card counter, réunit un très beau casting autour d’Oscar Isaac, Tye Sheridan et Tiffany Haddish.
Ce nouveau film contient une foule d’éléments aux influences diverses. On trouve tout d’abord un personnage principal, le mystérieux William Tell, qui est presque « bressonien » dans sa placidité, débitant ses quelques lignes de dialogues sans emphase, appuyant chaque mot comme on active un mécanisme d’horlogerie, précis et fonctionnel dans un but déterminé. L’écriture de Schrader ne se livre pas vite, il prend grand soin à bâtir son intrigue autour de cet homme étrange, réservant au spectateur les détails de sa vie, dans un calme presque absolu, tel celui qui règne autour des tables des casinos pendant une partie de poker.
Si l’histoire ne manque pas malgré tout de romanesque, The card counter ne vibre pas autour d’un spectacle tabageur. William est un ancien militaire, il gagne sa vie modestement dans des parties de black jack et de poker dans les casinos, par petites sommes pour ne pas attirer l’attention, dans ce qu’il décrit comme un gentleman agreement avec les directions de ces établissements : les petits joueurs n’intéressent personne. Quelques billets chaque jour, et la route du joueur continue.
Un grainn’ de sable en la personne d’un jeune homme qui l’identifie comme le marine qu’il a été, parasite cette mécanique de précision. Le jeu devient alors plus grand, sous le patronage de La Linda, joueuse aux relations fournies qui sponsorisent les meilleurs pour partager leurs gains. Tout reste froid, méticuleux, comme la façon de William de recouvrir ses meubles de chambre d’hotel de draps blancs noués de petites cordes, pour ne pas laisser de traces et rester ainsi invisible.
Rien est spectaculaire dans The Card counter, ni les parties de cartes, qui ne se finissent pas toujours, ni même la violence qui est suggérée dans les rêves de William, présentant celui qu’il fut dans ce qui a tout d’une autre vie achevée avec la peine de prison purgée il y a quelques années. Ce hors-champ permanent de tout ce qui pourrait troubler la quiétude du fil narratif est impressionnant en cela qu’il n’empêche pas le film de générer des émotions. Par un attrait spécifique donné aux mains des personnages, il est question de prouesses avec les cartes, compétence acquise en prison, jusqu’au plan final, très lent, qui rappelle cet état de fait, tout se passe dans les extrémités de chacun.
Nous ne sommes donc ni dans un film qui traiterait du jeu, comme La couleur de l’argent ou Les joueurs, ni dans un film de vengeance ou de guerre sur les effets délétères de la maltraitance par les militaires étasuniens à Guantanamo ou Abou ghraib. C’est un peu de tout cela, sans vraiment l’être totalement, William étant à la fois un joueur et un donneur de mort entraîné pour affronter des situations de torture. Le reliquat d’humanité qui persiste en lui, c’est peut être le thème central commun à chacune des pièces du puzzle présenté par Paul Schrader. C’est enfin une critique très acerbe du cynisme de la politique militaire américaine qui génère des monstres en pagaille se vendant au plus offrant dans une logique capitaliste toujours plus immonde et dangereuse.
C’est avec beaucoup de justesse que l’auteur se garde bien des clichés et écueils d’un film trop programmatique et prévisible, se concentrant sur la moelle et la sève d’un personnage fascinant interprété par un immense Oscar Isaac qui dévoile de nouvelles palettes de son jeu, toujours juste et précis dans ce qu’il propose. Pas de rage ou de flammes dans The card counter, dans le plan il ne reste que des cendres déjà refroidies et oubliées.
Bande-annonce
29 décembre 2021 – De Paul Schrader, avec Oscar Isaac, Tye Sheridan et Tiffany Haddish.