THE CHEF
SOUS PRESSION
Auréolé de la Mention Spéciale du Jury du Festival de Karlovy Vary de 2021, The Chef trouve dans son sujet et sa mise en scène le moyen de figurer à l’écran l’étouffante accumulation de pressions qui plombent un homme, un chef, et la société anglaise dans son ensemble. Si la cuisine est régulièrement au cinéma une force de convivialité et de connexions entre les êtres, celle présentée dans le film se matérialise avant tout en un lieu socialement ancré – le restaurant gastronomique – où s’exacerbent sexisme et racisme, et autres rapports de pouvoirs. Sa dimension spatiale et sociale offre à ce restaurant que l’on ne quittera pas des yeux pendant près d’une heure et demie un caractère microcosmique certes un peu simple et attendu, mais efficace dans son exécution.
Cette efficience du sujet tient surtout au parti-pris de The Chef. Tourné en plan-séquence, sans raccord au numérique, la dimension spatiale du lieu est exploitée au maximum. On passe de la salle au bar, aux cuisines avec la même agilité – teintée de stress – que l’on imagine d’un chef ou d’un serveur d’un restaurant. Cette sensation de course contre-la-montre, nécessaire pour raconter un tel sujet, est alors portée par la mise en scène.
Pour autant, aussi agile soit-elle, le savoir-faire de Philip Barantini ne stupéfait pas au-delà du dispositif. Le plan-séquence, contraint d’allers-retours entre personnages et entre lieux d’un espace relativement petit et délimité, manque de superbe. Au-delà de la prouesse technique, à mesure que le film avance, il se dégage un sentiment de normalité, qui peine à rendre virtuose et saisissante la mise en scène – allant jusqu’à rendre la prise de vue unique presque anodine, et oubliable. En comparaison, et peut-être parce que cette question de l’absence de « terrain » circonscrit n’y a pas lieu d’être, il manque à The Chef le souffle et la stupéfaction qu’offrait la nuit interminable et qui apparaissait comme spatialement infinie de Victoria de Sebastian Schipper, tourné également en plan-séquence. L’intérêt de cette technique, avec The Chef, réside sans doute bien plus dans une dimension d’accompagnement du sujet et de sa narration…
Outre l’idée à certains égards assez entendue d’une société en cocotte-minute prête à imploser, le film se concentre avant tout sur la pression intime et professionnelle que subit Andy Jones. Le plan-séquence trouve alors ici un intérêt en ce qu’il a de « sans fin ». Les problèmes plus ou moins convenus s’accumulent et s’intriquent pour le chef : une absence auprès de son fils, une sous-cheffe sous payée qui plaide pour une revalorisation salariale sans quoi elle partira, une équipe pour certain·e·s démotivé·e·s ou inexpérimenté·e·s, la confrontation avec un ancien mentor, des problèmes d’argent plus ou moins crapuleux, et ses propres démons internes… Sans oublier, bien-sûr, les difficultés inhérentes aux restaurants, les retards, le manque de marchandise et la préparation des plats.
Cette énumération, couplée aux choix de mise en scène de Barantini et à la performance de Stephen Graham, offre au film sa principale réussite : sa dépeinte de la pression, étouffante, insupportable et sans limites apparentes. Toutefois, le caractère atone que peut prendre le plan séquence de The Chef n’est – en apparence – pas aidé par la structure de sa narration. A mesure que les problèmes d’Andy et de ses équipes s’accumulent, sous l’œil toujours attentif de Barantini, une forme d’enchaînement attendu des péripéties semble être à l’œuvre : présentation de la situation, accumulation des problèmes, révélation d’un problème plus dramaturgique encore, et puis, pour rester évasif, un point de rupture, le fameux « Boiling Point » du titre original.
Alors que le film semble perdre en vitesse et opérer une mue vers un moment de prise de conscience plus calme, pour aboutir à une résolution finale assez convenue, The Chef empreinte subitement un autre chemin, plus pessimiste. Une autre voie qui détone avec la structure du récit initialement mise en place et qui, alors que sa mise en scène qui pouvait apparaitre passive, offre finalement au film une réminiscence inattendue.
Bande-annonce
18 janvier 2022 – De Philip Barantini, avec Stephen Graham, Vinette Robinson