THE GLASSWORKER
Tomas et son fils Vincent dirigent la meilleure vitrerie du pays et voient leurs vies bouleversées par une guerre imminente. L’arrivée d’un colonel de l’armée et de sa talentueuse fille, Alliz, bouscule leur réalité et met à l’épreuve leur relation père-fils. C’est une époque où le patriotisme et le statut social sont considérés plus importants que la libre pensée et les activités artistiques.
Critique du film
La copie, nous le savons, est le lieu de l’apprentissage dans l’art en général et la peinture en particulier. C’est en copiant les grands maîtres que les jeunes artistes se font la main, découvrent les différentes techniques et rencontrent les erreurs les plus courantes qu’il faudra apprendre à éviter. En cela, la copie est une étape importante de la formation, et peut devenir plus tard une pratique à part entière, sous forme d’exercice de style ou d’éloge d’une œuvre passée. Néanmoins, la question se pose différemment au cinéma, en raison de son organisation industrielle mais aussi de son dispositif même d’enregistrement des images. La copie telle quelle est rendue impossible, mais revient toutefois sous forme de motif comme façon de commenter, de réinterpréter, de prolonger les images préexistantes. Qu’ils s’y soient attelés une seule fois ou qu’ils y aient consacré leur filmographie, les cinéastes ayant exploré le sujet nous apprennent que son existence est indissociable de celle d’un regard.
À ce titre, le visionnage de The Glassworker se révèle particulièrement instructif, puisqu’en plus d’ouvrir la voie des longs-métrages d’animation au Pakistan – il s’agit du tout premier –, le film se penche sur la question de l’artisanat, de la création et de la copie à travers de son héros Vincent, souffleur de verre. Ces thématiques servent de fil rouge au récit, mais sont aussi incarnées dans l’approche esthétique du film : comme beaucoup de jeunes animateurs d’ici et d’ailleurs, le réalisateur Usman Riaz et son équipe rêvent des productions Ghibli, de leur ligne claire, de leur monde en mouvement et de leur rapport au fantastique. Posant ce mastodonte de l’animation japonaise comme horizon à atteindre, le film s’arc-boute autant que possible pour correspondre à l’idée qu’il se fait des œuvres issues du studio et gomme ses spécificités culturelles pour intégrer un moule populaire mais fabriqué à l’étranger, quitte à laisser entrevoir, à chaque moment où le récit et la mise en scène ne sont pas à la hauteur du modèle, l’extrême vanité du projet.
The Glassworker est ainsi le témoignage de deux passages au tamis successifs. D’abord, ce qu’a perçu et retenu l’équipe d’animation pakistanaise des films de Hayao Miyazaki et Isao Takahata – un cadre d’inspiration européenne, un amour des boutiques et pratiques anciennes, une philosophie de vie simple et rurale, un propos humaniste et anti-guerre. Puis, ce qu’elle a pu restituer au moment de la production du film, en surinvestissant la surface – univers naphtaliné avec lumières étincelantes, personnages lisses au sourire béat, notes tristes d’harmonica ou de violons – au détriment de sa technique sans charme, aux mouvements mécaniques et saccadés. Il y avait pourtant dans le modèle japonais, au-delà du studio Ghibli, un sens de l’animation limitée à aller chercher, dont la beauté se situe dans les poses des protagonistes, dans les micro-changements des visages, dans les amortis des cheveux et des vêtements qui terminent les gestes.
Si le long-métrage d’Usman Riaz capte quelque chose de typique dans la production de l’archipel, c’est davantage le caractère absolu du mélodrame des mauvais animés, où tout est radical, âpre, noir ou blanc. Le choix des sujets principaux ne trompent pas : l’amour contrarié par le milieu social, la création artistique, la guerre sont choisis pour leur caractère universel – et écrasant –, mais aussi pour leur capacité à mettre sous cloche un ensemble de constats faciles et de les laisser tourner en rond. C’est d’ailleurs dans sa façon de répéter de manière claire et ostensible ses grands discours que le film finit par s’embourber et être contredit par ses propres images. D’un côté, en faisant l’éloge du repli pacifiste de Vincent et de son père comme la position des justes, pour représenter parallèlement la guerre et la destruction avec beaucoup d’emphase, jusqu’à une longue séquence, curieusement patriote, dédiée au courage, à la souffrance et au mérite de soldats laissés pour morts et revenus du front par leurs propres moyens. De l’autre, en ressassant jusqu’à l’absurde le fait de trouver sa voix, de créer par soi-même quelque chose de personnel, tout en forgeant un univers visuellement stéréotypé et fade, qui n’ose jamais poser un orteil en dehors de l’ombre de ses aînés. La dissonance a de quoi fatiguer.
Le problème, au fond, est moins une question d’ambition que de positionnement : The Glassworker veut parler des grandes choses sans jamais accorder d’attention aux plus petites. Quelle importance peut avoir le discours sur la création, quand le long-métrage n’accorde jamais une scène complète au travail du verre, aux efforts physiques nécessaires au soufflage, à la longueur du processus de transformation de la matière ? Le film utilise ce sujet comme un pivot dramatique au service d’un scénario bouffi, mais n’ose jamais regarder l’artisanat dans les yeux, à en dévoiler les spécificités et le mystère. En le faisant, peut-être que le long-métrage aurait trouvé un autre souffle que celui de la baudruche qui se dégonfle.