los tonos mayores

THE MAJOR TONES

Ana, 14 ans, vit à Buenos Aires avec son père Javier, artiste et enseignant. À la suite d’un accident, elle a une plaque de métal dans le bras. Pendant les vacances d’hiver, Ana commence soudain à ressentir de mystérieuses impulsions dans la plaque.

Critique du film

Ingrid Pokropek, réalisatrice de The Major tones (Los Tonos Mayores), s’inscrit à tout juste trente ans dans ce fameux collectif de production du cinéma Pompero, sorte de « nouvelle vague » argentine, dont les noms les plus connus sont Mariano Llinas et Laura Citarella. Au premier, elle emprunte l’acteur de La Flor (2019) Pablo Seijo, et une inspiration forte pour la deuxième pour laquelle elle fut productrice pour le brillant Trenque Lauquen (2023). Cet univers créatif, dont les ramifications s’étendent très loin dans tout le cinéma argentin (comme avec Los Delincuentes de Rodrigo Moreno, sorti en 2023), est un espace de liberté fabuleux qui se déploie par le biais d’oeuvres plus innovantes et singulières les unes que les autres. L’attente cinéphilique pour chacun des films issus de cette mouvance est donc grande, peut-être trop tant la barre fut placée haute ces dernières années.

On reconnaît tout de suite la folie douce qui anime beaucoup de ces réalisations, c’est à dire une esthétique, un ton et un cinéma de recherche qui privilégie la prise de risque à la sécurité d’une narration linéaire confortable. La cinéaste choisit comme personnage principal une adolescente de 14 ans, vivant seule avec son père, un artiste un peu paumé qui court après un ancien amour, tout juste de retour en ville. Ana pérégrine beaucoup, elle arpente les rues de Buenos Aires, la ville d’Ingrid Pokropek, dans une errance tout d’abord très séduisante. Quand ses amies sont plus intéressées par la découverte de l’amour que par ses histoires d’ondes captées par la plaque en métal fichée dans son avant-bras, elle les abandonne soudainement pour entamer son propre chemin, ignorant totalement l’éveil amoureux et l’éducation sentimentale chère à sa génération.


Ana est toute entière tournée vers sa quête, la compréhension de ces messages qu’elle ressent dans sa chair et qu’elle tente de décrypter par le biais de notes de musique, mais aussi par le morse, un langage qu’elle découvre grâce à une jeune militaire croisé une nuit dans un café. Les heures passent et la nuit envahit tout le plan, de telle sorte que la jeune adolescente se retrouve seule à l’autre bout de la ville, déambulant comme une étrangère à la fois vis à vis des lieux, mais aussi des gens qu’elle croise, comme si personne ne pouvait la comprendre. La cinéaste argentine cultive fermement cette différence dans son écriture, chaque nouvelle journée prolongeant cette impression diffuse qu’Ana poursuit quelque chose, sans qu’on arrive très bien à savoir quoi.

Cette très belle idée, poétique et bien amenée par la métaphore des ondes captée par la jeune fille, aurait pu briller d’avantage si le récit ne s’était pas quelque peu perdu dans des longueurs qui nuisent à son efficacité. Les nuits se terminent et on est guère plus avancé quand Ana repousse une fois de plus et le temps et ses congénères, y compris son père qui ne comprend plus sa fille qui prend de plus en plus ses distances avec lui. Quand la lumière vient enfin poindre, moins pour la signification des messages que pour le sens du dévouement d’Ana à percer leur mystère, il est peut-être déjà trop tard pour le spectateur. En effet, à force d’installer un rythme lancinant, Ingrid Kopropek a trop dilué sa narration, les moments d’attentes dans des lieux vides ayant eu raison de la dynamique initiale.

Ces scories assez typiques d’une première réalisation ne sauraient faire oublier le charme de l’ensemble et les idées égrainées pendant 1h40. L’audace formelle teinte d’onirisme le film, notamment dans ses débuts où le clignotement des fenêtres crée un ballet envoutant au cœur de la ville qui se dévoile comme un poème. L’autre vertu de The Major Tones est d’avoir composé une protagoniste qui refuse de quitter l’enfance, une dernière quête l’obsédant avec l’énergie du désespoir. Si on ne peut dire que l’issue est celle qu’avait rêvé Ana, il transparait encore une fois une petite musique délicieuse et subtile qui fait le trait d’union entre tous ces films argentins aux voix si vives et passionnantes.


D’Ingrid Pokropek, avec Sofía ClausenPablo SeijoLina Ziccarello


Festival de La Roche-sur-Yon