THE ORDER
L’histoire d’un groupe de suprémacistes blancs aux Etats-Unis dans les années 1980.
Critique du film
Quatre ans après la présentation en compétition à Cannes de Nitram, le réalisateur australien Justin Kurzel revient au premier plan avec The Order, situé au Colorado, dans l’arrière-pays de Denver. Situé en 1984 au sein de communautés de suprémacistes blancs, ces groupuscules d’extrême droite radicale et racistes, le film est moins une fiction politique qu’une enquête très resserrée sur quelques personnages et un duel entre police fédérale et un chef de clan. Jude Law et Nicholas Hoult incarnent ces deux pôles opposés qui se pourchassent dans un mouvement naturel entre ordre et activisme armé. Si le scénario n’est volontairement pas tourné vers une documentation précise du milieu traité, c’est pour mieux faire la part belle à l’action et à un rythme soutenu qui rendent le film particulièrement efficace.
Kurzel avait pu nous habituer à un style romanesque, des Crimes de Snowtown à Nitram, en passant par sa version de MacBeth, alors qu’il consacre ici toute son attention à l’atmosphère sépulcrale de ce milieu ultra agressif et masculin, dessinant une ligne de crète sur laquelle il fait graviter ses personnages jusqu’à la chute. À la manière d’un Michael Mann dans Heat, le cinéaste australien construit son récit autour de deux hommes, qu’il décrit chacun de son coté, dans une opposition de style qui crée d’emblée un antagonisme. Tous deux se rencontrent également dans un moment de chasse qui résonne comme une métaphore de leur relation, étrangement respectueuse et policée. Ces deux faces d’une même pièce se développent chacune à leur manière, dans la solitude pour Jude Law et dans une camaraderie gavée de toxicité pour Nicholas Hoult, dans un affrontement de deux visions de l’Amérique où une seule peut survivre.
Comme souvent chez Justin Kurzel, on assiste à la naissance d’une cellule ultra-violente, excroissance monstrueuse d’un tissu social gangréné par la pauvreté et l’ignorance. Robert Matthews/Hoult n’en est qu’un nouvel avatar, obsédé par le devenir de sa lignée, et cette idée de se réapproprier un pays qui aurait été perdu au profit de l’étranger et de celui qu’il considère comme l’ennemi de l’intérieur. Le diagnostic est sans appel : les mots n’intéressent plus ces jeunes hommes déclassés, ils veulent de l’action. On reconnaît là encore cette description de générations d’hommes assoiffés de vengeance, donc de sang, décidés à passer à la lutte armée et au terrorisme pour calmer leurs instincts frustrés par une société qu’ils jugent injuste. Le propos est simple, minimaliste, presque à l’os, véhicule parfait pour un film qui avance à toute allure entre deux fusillades, braquages, et avancée d’enquête policière.
Dans le camp opposé, le verbe est encore plus rare : l’agent Terry Husk/Jude Law, s’exprime peu. Quand on lui demande si ces filles vont le rejoindre, il répond par un soufflement agacé. Il déplait à tous ses interlocuteurs, préférant avancer seul et contre l’avis de tous, dans une figure de justicier solitaire propre aux vigilante omniprésents dans l’americana contemporaine. Le mystère l’entoure jusque dans son corps, dévoilant des cicatrices témoins d’une histoire tourmentée dont on ne saura jamais rien, la souffrance du passé restant muette au delà des grimaces de rigueur pour l’homme tourmenté qu’il est.
The Order n’est donc pas un film d’une ampleur thématique exceptionnelle, avare en mots et en effets originaux, il préfère se cantonner dans une mise en scène sobre, avec un aspect entre le policier et le western, rappelant que le Colorado fut longtemps cette frontière si vive dans l’imagination américaine. Cela reste un récit servi par sa sobriété et par un rythme particulièrement bien mené qui le rend très agréable à regarder malgré le dureté du propos. Le manque d’ambition politique est donc bien compensé par un duo d’acteurs magnifiques qui donne vie à un duel poignant s’inscrivant dans une grande tradition du cinéma américain des films se situant dans les marges de ces territoires où tout semble possible, même le pire.
De Justin Kurzel, avec Jude Law, Nicholas Hoult et Tye Sheridan.