THE QUIET EARTH
Critique du film
Sorti en Nouvelle-Zélande un an avant la catastrophe de Tchernobyl, The Quiet Earth (ou Le Dernier survivant dans son titre français) est un beau représentant de l’angoisse du nucléaire qui a parcouru la société et le cinéma des années 1980. Reprenant le canevas scénaristique du « Dernier homme sur terre« , déjà exploré par quelques œuvres antérieures et abondamment réutilisé dans des productions plus récentes, le long-métrage de Geoff Murphy s’inscrit dans une lignée assez illustre de films catastrophe, lorgnant sur Mad Max et son immense succès en marge d’Hollywood, et s’inspirant d’une paranoïa urbaine dans l’esprit de Miracle Mile. Le récit suit ce cheminement un peu obligé propre aux films sur la solitude : tout perdre et se perdre soi-même pour se reconstruire et trouver un sens à son existence. The Quiet Earth le fait toutefois avec envie, et, en plus d’explorer assez justement les questions existentialistes, témoigne d’une certaine vivacité du cinéma néo-zélandais, capable de produire des œuvres de science-fiction ambitieuses à une époque où Jane Campion et Peter Jackson, grands représentants du pays, n’avaient pas encore tourné leur premier film.
La mise en scène de Geoff Murphy introduit une forme d’horreur singulière : rapidement, ce qui inquiète n’est pas la disparition de la population au cours de la nuit, mais leur absence, du point de vue corporel, au milieu de lieux accidentés que traverse Zac, le personnage principal. Insidieusement, le film montre que nous ne concevons pas, avec nos habitudes d’images tirées de l’actualité, que de tels drames impliquant gravats, tôle froissée et incendies sans dégâts humains, puissent se produire. Dans une des premières scènes, le héros interprété par Bruno Lawrence, explore les restes d’un avion qui s’est écrasé dans la ville et le spectateur est frappé tout autant que lui par l’absence de blessés ou de corps, bien que les ceintures des sièges soient encore parfaitement bouclées. Le réalisateur propose ainsi tout au long du film une narration par les décors, qui mettent chacun l’accent sur la vaporisation subite des habitants en montrant ses conséquences matérielles directes (la machine à peindre les démarcations sur les routes qui trace une ligne continue jusqu’au fossé, le gaz laissé sous une bouilloire qui déborde, et ainsi de suite).
Le choix minutieux des accessoires et la variété des lieux de tournage ont manifestement bénéficié de la part principale du budget du film, et conditionné l’orientation du récit. Si l’intrigue est bien rythmée et parvient à renouveler ses différentes pistes de réflexion sur l’humain, le déroulé reste très elliptique. Zac passe rapidement d’une situation à une autre et il aurait parfois été préférable, lors de son réveil notamment, d’inscrire sa découverte du monde et la montée de son angoisse dans un temps continu. Le réalisateur manque le coche de filmer l’incompréhension de son personnage, pour entrer quasiment de suite dans le vif du sujet, comme s’il avait peur que le public s’ennuie si l’action n’était pas immédiate. Néanmoins, le long-métrage a la qualité de rester en phase avec son personnage et de montrer, dans un temps assez bref, son passage par de nombreuses émotions. L’interprétation de Bruno Lawrence, souvent silencieuse, est remarquable, et saisit ce qui est véritablement les étapes du deuil de son personnage : Zac passe de la résignation au plaisir de réaliser ses fantasmes, puis frôle la folie avant de se ressaisir, avec toujours une certaine noirceur en fond.
Ce ton occasionnellement plus sombre et tranchant rappelle que, malgré sa filiation du point de vue formel avec le divertissement hollywoodien, The Quiet Earth n’est pas une production américaine. Par le cheminement de son personnage principal, Geoff Murphy pose plusieurs questions sur la liberté, la structure de la société occidentale et les rapports sociaux, tout en s’autorisant à recourir au subversif à quelques reprises, soit avec fracas (la scène dans l’église où Zac, désespéré, ouvre le feu sur une statue de Jésus), soit au détour d’une simple phrase, comme ce moment brillant où l’on pose soudainement la question de la nécessité de reproduire le système de domination de la société qui s’est effondrée. Le film, plus fin qu’il n’y paraît du point de vue philosophique, arrive silencieusement à la conclusion que beaucoup de choses se retrouvent dépourvues de sens quand elles ne sont pas partagées ou confrontées avec d’autres individus (la richesse, les normes d’habillement), et a l’intelligence de s’interroger en parallèle sur l’idée de liberté, de sa limite et du besoin paradoxale des autres même si les relations créent des obstacles.
Il serait ainsi malvenu de s’arrêter sur l’impression de bon épisode de Twilight Zone porté sur grand écran que The Quiet Earth émet au premier abord. Bien que formellement assez effacé, le long-métrage fait preuve d’un savoir-faire technique discret, qui a l’ambition louable d’exprimer son propos autrement que par le biais du simple scénario bien écrit. Geoff Murphy travaille en priorité avec les décors, les accessoires et les costumes, et les conjugue harmonieusement pour donner chair à son récit, sans pour autant que cela prenne le pas sur l’action et le plaisir de suivre une histoire de science-fiction impossible. Il y a dans cette approche du divertissement bien produit un certain désir d’Hollywood, que le réalisateur finira d’ailleurs par assouvir en poursuivant sa carrière aux États-Unis. Reste à découvrir si les producteurs américains l’ont autorisé à réitérer une fin aussi scandaleusement ouverte que celle de The Quiet Earth, désarçonnante mais ô combien génératrice de sentiments contraires.
Bonus de l’édition La Rabbia / The Jokers – The Quiet Earth – Pierre angulaire du cinéma post-apocalyptique (29′)
La présentation d’Alexis Lebrun, journaliste de Gonzaï Magazine, met en rapport le film de Geoff Murphy avec les autres productions « last man on earth » qui l’on précédé ou suivi. L’intervenant revient également sur les principales thématiques de l’œuvre ainsi que son ancrage dans la culture néo-zélandaise, avec les questions de l’isolement, du nucléaire et des tensions raciales. La fin controversée du film est également discutée, et l’entretien se termine sur les nouvelles réinterprétations de l’apocalypse et de la fin de l’humanité dans le cinéma contemporain.
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De Geoff Murphy, avec Bruno Lawrence, Alison Routledge et Pete Smith (II)