THE SURVIVAL OF KINDNESS
Critique du film
Dix ans ce sont écoulés depuis Charlie’s country, dernier film du réalisateur australien Rolf de Heer qui célébrait David Gulpilil, héros du cinéma aborigène. Si le grand acteur s’en est allé après une longue maladie, le cinéaste, lui, est toujours bien présent à 71 ans, revenant sur le devant de la scène avec The Survival of Kindness. Ce nouveau film célèbre à la fois une filmographie riche mais aussi tout le cinéma des antipodes, résumant en quelques plans toute la richesse des cinquante dernière du cinéma australien. C’est le désert qui nous accueille tout d’abord, et un visage noir, convoquant tout de suite le chef d’oeuvre Walkabout de Nicolas Roeg, sorti sur les écrans français en 1972. On y découvrait la rencontre entre une fille de famille blanche et un jeune homme autochtone sur le point de devenir adulte, dans l’obligation d’effectuer un rituel d’errance propre à sa culture. Chez De Heer, c’est une femme qui se retrouve en zone aride, enfermée dans une cage de fer, complètement seule sans vivre ni eau.
La radicalité et la démesure du projet font tout de suite penser à Bad Boy Bubby, le premier grand film du réalisateur, sorti en 1993. De la même façon, on y découvrait un personnage qui devait aller à la rencontre du monde, une première fois dans un univers peu séduisant qui n’aura de cesse de la décevoir. Le personnage que nous suivons dans The Survival of Kindness doit affronter une hostilité sous la forme d’hommes munis de masques à gaz, une pandémie extrêmement agressive attaquant les voies respiratoires, une sorte de fusion entre le covid et le virus Ebola, crachats de sang à l’appui. Ce monde post-apocalyptique convoque la figure de Mad Max, faisant de l’arrière-pays australien un « no man’s land » où règnent la loi du plus fort et un arbitraire glaçant. Pourtant, cette femme, après avoir réussi à se délivrer de sa prison, fait montre d’un humour des plus réjouissants, dans une forme d’absurde qui convient bien à sa situation.
Chaque nouvelle étape est l’occasion de changer de vêtements, et ainsi de devenir quelqu’un d’autre : une citadine en chemise, une exploratrice en chapeau, et même une militaire déguisée comme les oppresseurs qui la pourchassent. Ces mues, autant que l’atmosphère particulière qui habite chaque plan, confèrent au film un caractère ésotérique certain, mêlant la survie à la dimension du rêve si chère à la culture aborigène. Cet aspect précis entoure le film d’un vernis de merveilleux qui, de concert avec l’humour du personnage principal, permet à cette histoire de ne jamais verser dans le drame, même dans les pires moments. Après tout, ce n’était qu’un rêve. Mais celui-ci montre une société où le colonisateur blanc a échoué, rayé de la carte par une maladie qui ne touche que lui, la toux épargnant notre héroïne, qui va jusqu’à se moquer de ce stigmate en l’imitant gaiement. Son seul moment de peine est celui de la perte de son amie rencontrée sur le chemin. À cet instant précis, elle semble prendre conscience de sa solitude et de la vacuité de son existence.
Rolf de Heer réussit un nouveau film absolument magnifique, qui s’épargne tout dialogue, résumant leur absence par des mots échangés en toute fin, dans deux langues différentes, preuve que de toute manière la compréhension est plus facile par d’autres biais entre les personnages. Ce constat simple et éloquent est à l’image du reste de cette histoire : il n’est pas besoin de beaucoup d’effets pour démontrer l’absurdité du monde qui les entoure. Peu importe que tout ceci ne fut qu’un rêve, il a suffi de quelques scènes pour nous convaincre de l’ineptie des rapports de force entre les peuples, qui, même au bord de l’extinction, continuent à ne pas vouloir se comprendre, grognant des mots que plus personne n’est en mesure de comprendre. C’est toute la beauté de ce cinéma du bout du monde qui est comprise dans ce très beau moment.
Bande-annonce
13 décembre 2023 – De Rolf de Heer
avec Mwajemi Hussein, Darsan Sharma et Deephti Sharma