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THERE WILL BE BLOOD

Lorsque Daniel Plainview entend parler d’une petite ville de Californie où l’on dit qu’un océan de pétrole coulerait littéralement du sol, il décide d’aller tenter sa chance et part avec son fils à Little Boston, village dans lequel chacun lutte pour survivre et où l’unique distraction est l’église animée par le charismatique prêtre Eli Sunday. Peu à peu, Plainview laisse sa cupidité prendre le dessus…

Critique du film

Inspiré de Pétrole !, roman d’Upton Sinclair paru en 1927, There Will Be Blood a dépassé le simple statut de culte pour se rapprocher du chef d’œuvre. Présenté comme l’un des meilleurs films de sa décennie, le long-métrage de Paul Thomas Anderson frappe par la singularité de son ouverture, muette pendant plus de dix minutes. Daniel Plainview, pétrolier autoproclamé, préfère l’usage de ses bras à celui de sa langue. Seule compte sa fortune, qui passe inexorablement par l’or noir. La bande sonore de Jonny Greenwood, guitariste de Radiohead, hante le spectateur dès les premières minutes. Bercé par un violoncelle frénétique rappelant la nervosité des films d’horreur, le long-métrage se rapproche du thriller crépusculaire. Le malaise naît en quelques accords et ne quittera plus l’écran. Au contraire, il ne fera que grandir, au rythme de l’accroissement de la malice du protagoniste et de son rival, le pasteur véreux Eli Sunday.

Difficile d’évoquer le désormais mythique There Will Be Blood sans parler de Daniel Day-Lewis et Paul Dano, parfaits interprètes d’hommes complètement dépassés par leur cupidité. Le Britannique, revu chez Paul Thomas Anderson dans Phantom Thread et qui a disparu des écrans depuis, n’a jamais paru autant habité que dans ce rôle (qui lui a d’ailleurs valu un Oscar et un Golden Globe on ne peut plus mérités). Mais Paul Dano, 22 ans à l’époque, n’a pas à rougir. Ses monologues gagnent en intensité au fil des scènes et participent à cette effroyable représentation d’une Amérique rongée par la naissance du capitalisme et la confiance aveugle envers les représentants illégitimes du christianisme. Car There Will Be Blood ne se limite pas à dresser le portrait d’hommes rongés par une cupidité insatiable. Sa densité thématique n’empêche pas son réalisateur de traiter toutes ses idées avec justesse : la fragilité des liens du sang, l’éducation et la plongée d’un pays tout entier vers la décadence accompagnent la critique ouvertement faite à la religion et au capitalisme. Paul Thomas Anderson cristallise sa pensée en proposant, à travers ce duel d’idéologies, sa vision du Mal.

DEUX HOMMES EN COLÈRE

Daniel Plainview ne voit à travers les autres que des raisons supplémentaires de détester les humains. Eli Sunday les corrompt pour son propre plaisir, avant d’avouer qu’il n’est qu’un imposteur en recherche de gloire et d’argent, comme son rival qu’il défie à travers les âges. La composition visuelle nous envoûte autant qu’elle nous terrifie. L’Ouest américain est aussi grandiose qu’inhospitalier. L’omniprésence de couleurs chaudes et orangées ne saurait nous détourner des pensées des deux protagonistes : l’homme est répugnant, froid, mauvais, manipulateur. Mais leur mégalomanie les pousse à oublier leurs propres comportements désespérants, alors qu’ils se mettent à incarner, peu à peu, tout ce qu’ils détestent chez les autres. À eux deux, ils se rapprochent de l’incarnation des sept péchés capitaux : seule la luxure manque à leur arc démoniaque. Leur haine des autres dépasse largement leur besoin sexuel primaire. Leurs âmes sont encore plus sombres que le pétrole qu’ils convoitent.

Et lorsque celui-ci jaillit pour la première fois, filmé en contre-plongée comme un titan indomptable, Daniel (Plainview ou Day-Lewis, on ne fait plus vraiment la différence) perd le contrôle. Sous ses yeux vient de naître un nouveau Dieu. Anderson nous emmène avec lui dans sa chute et nous force, à plusieurs reprises, à voir le monde selon ses principes. Lorsque le drame arrive et que son fils est à l’agonie après avoir frôlé la mort, Plainview n’a d’yeux que pour la surabondance de pétrole, synonyme de sa future richesse démesurée. Et le cinéaste nous force à regarder, hébétés, cette fontaine d’or noir qui cause définitivement la perte de tous les habitants de Little Boston. Puis la caméra se pose sur le regard enflammé de Day-Lewis, possédé par son personnage. C’est un avertissement : cet amour pour l’argent ne fait que commencer, et rien ne résistera à la vague d’ambition de Daniel Plainview, personnification du capitalisme lui-même, qui traversera les siècles.

There will be blood

There Will Be Blood. Avec ce titre devenu encore plus culte que son film, Paul Thomas Anderson nous prévient : au cours de ces deux heures trente-huit, le sang coulera. Il est au cœur des trahisons familiales subies par Daniel et Eli, il est sous le sol de Little Boston, il est dans le corps du Christ. Mais la mare de sang, l’inéluctable, se fait attendre. Puis vient l’instant de folie. Paul Thomas Anderson nous rappelle notre capacité à sombrer dans l’abîme. Une scène de rage infinie, un dernier duel de convictions. Une caricature ouvertement exagérée, que les acteurs magnifient en dépassant les limites de leur jeu. Le cinéaste les laisse (un peu trop) s’emporter dans un dernier dialogue vertigineux, qui dérape évidemment. Le sang s’étale sur la piste de bowling de Daniel Plainview. « J’ai fini », annonce le protagoniste en intermédiaire du cinéaste, à côté du corps inerte du prédicateur. L’appât du gain l’emporte sur la religion et ses suiveurs, un fléau en remplace un autre et plonge un peu plus l’humanité vers les ténèbres.


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