TIENS TON FOULARD, TATIANA
Dans la Finlande des années soixante, deux hommes prennent à bord de leur voiture, deux femmes, l’une estonienne et l’autre russe. Les deux hommes sont confondants de nullité face aux femmes mais, peu à peu, l’absurde cède le pas aux sentiments.
Critique du film
Les films d’Aki Kaurismäki, parmi leurs nombreuses qualités, sont courts, généralement entre 80 et 90 minutes. Amplement suffisant pour brosser, à sa façon incomparable, un tableau tendre et cruel, drôle et désespéré de notre humanité en péril. Les 62 minutes de Tiens ton foulard, Tatiana lui confèrent une vertu supplémentaire, le film rentre dans les standards du Festival du moyen métrage de Brive qui a eu la bonne idée de le programmer cette année dans une section hors compétition intitulée “Comédie humaine” où il côtoie, entre autres, Jean Renoir (Le Roi d’Yvetot), Luis Bunuel (Simon du désert), Luc Moullet (Les Sièges de l’Alcazar) et Leo Mccarey (Six of a Kind).
Une voiture, des hommes cheveux plaqués en arrière, un chien, un bar, un concert, pas de doute on est bien chez Aki Kaurismäki, le finlandais faisant partie de ces cinéastes dont on reconnaît la patte en quelques plans. On reconnaît aussi des visages, ici Matti Pellonpää avec son regard moitié fou moitié apeuré, c’était le manager dictateur des Leningrad Cowboys Go America ou le peintre de La Vie de Bohème. Et bien sûr, fidèle d’entre les fidèles, Kati Outinen, LE visage du cinéma de Kaurismäki, Prix d’interprétation à Cannes en 2002 pour L’homme sans passé.
La routine, la route, la roue tourne
Comme souvent chez le finlandais, c’est une rupture qui décide de la narration, il faut que quelque chose change pour que quelque chose advienne. Valto est couturier, au service de sa mère. En quelques plans, le cinéaste dessine une relation de domination, un atelier/prison. Motif récurrent de son cinéma, il bouscule aussi la représentation normée des genres. Il coud, elle fume le cigare. Il suffit d’un micro-événement pour que cette situation devienne absolument invivable aux yeux de Valto : il n’y a plus de café. Valto boit beaucoup de café, tout le temps. Reino, lui aussi, boit énormément, mais de la vodka. Les voilà partis tous les deux sur la route, dans la voiture du premier, remise à neuf par le second.
Avec ce film, Kaurismäki rend hommage aux road movies à l’américaine, jantes rutilantes, chemise en peau de serpent, station-service au milieu de nulle part et rencontres de hasard. Hommage ne veut pas dire révérence, Kaurismäki prend un malin plaisir à tordre tous les codes ou à simplement les passer au tamis de sa vision. Le noir et blanc somptueux de Timo Salminen donne au film un aspect intemporel au contraire des chansons rock des Renegades qui ancre le récit dans les années 60. Valto a fait l’acquisition d’une petite cafetière 12 volts, Reino descend bouteille sur bouteille, tout va bien.
La fille à la valise
Mais bientôt deux filles sont à l’arrière de la voiture, Klavdia la russe et Tatiana l’estonienne. Leur bus est en panne et nos deux rockers ploucs (être né à Helsinki ne fait pas de toi un rocker, dit Reino à un gars un peu trop sûr de lui) acceptent de les convoyer jusqu’à la ville portuaire. Deux gars, deux filles, la cause est entendue ! Ailleurs peut-être mais pas chez Kaurismäki. Parler est difficile, les langues ne sont pas communes même si Tatiana se débrouille en finnois. La communication passe par les regards, timides, en biais, pendant le sommeil de l’autre. Ce ne sont plus deux hommes mais deux petits garçons qui s’endorment comme des bébés et gloussent comme des garnements. Les regards plus appuyés de Tatiana finissent par troubler Reino. Une nuit, il vient s’asseoir à côté d’elle. Elle pose sa tête sur son épaule, il passe son bras derrière son dos, nous sommes au comble de l’érotisme kaurismäkien chez qui dire je t’aime est vulgaire alors, pensez, déshabiller ses personnages. On ne s’engage pas, on suit. Reino accompagne Tatiana jusque devant chez elle puis informe Valto qu’il reste.
Alors Aki lance Tchaïkovsky entre deux musiques rock et la solitude de Valto est plus grande que la mer Baltique. Il rentre chez lui, un paquet de café à la main, rouvre la remise dans laquelle il avait enfermé maman et se rassoit devant sa machine à coudre. La route, Tatiana, son foulard, n’étaient peut-être que du vent.