TINNITUS
Critique du film
Grâce à une sophistication de l’épure, Tinnitus réussit à tenir en équilibre sur un fil d’étrangeté. Au centre de ses cadres méticuleusement composés, se joue à la fois une guerre des nerfs sur fond de sport de haut niveau et une lutte intérieure au bord de la folie. Vertical et féminin, le film donne le sentiment de parfois s’égarer mais son climat d’inquiétude surnage bien après la séance dans la mémoire du spectateur.
Ensemble
Il y a le duo que forment Marina et Luisa, toutes deux championnes de plongeon synchronisé. La vie de Marina est ritualisée par les entraînements. Elle consent beaucoup de sacrifices au nom de la recherche de perfection pour exécuter le geste juste au juste moment. Objectif : deux corps fondus dans le même mouvement. Et il y a le couple, Marina et son médecin de mari. Une moitié à temps plein. Tinnitus est, entre autre, l’histoire d’un dérèglement. Un petit bourdonnement qui se transforme en monstre intérieur qui impose sa loi avant de tout faire voler en éclat. Graziosi joue, pour exprimer le malaise de Marina, sur le contraste entre l’image et le son, entre l’harmonie et la dissonance. L’image est signée Rui Poças, le grand chef opérateur portugais (Tabou, Zama, Alma viva…) et la musique David Boulter, le claviériste des Tindersticks. Le musicien anglais a composé des vrilles sonores, envoûtantes et irritantes, entre la bulle subaquatique et le débordement urbain.
Bleu comme l’enfer
Le décor principal est celui d’une piscine déserte située en plein cœur de Sao Paulo, ville verticale dont on perçoit l’intensité uniquement à travers les sons, incessants, répétitifs, épuisants. L’accident advient au plus mauvais moment, lorsque la compétition ne pardonne aucune erreur. Trop de stress ou confiance écornée ? Un moment de rupture avec Luisa. Le mari de Marina expérimente un traitement pour soigner ses troubles auditifs. Mais la jeune femme vit mal cette mise sous tutelle médicamenteuse. Elle s’éloigne. La maladie toujours isole. Le contact de l’eau demeure, elle joue encore les sirènes pour l’aquarium touristique qui annule une représentation sur trois, faute de spectateurs. Le goût de la compétition revient en allant soutenir Sonia, championne olympique à Tokyo, entraîneuse fidèle et vétérane médaillée. Le désir revient aussi, bien stimulé par Teresa, avec qui peut-être, couple et duo pourraient fusionner.
Le trou parfait
L’acouphène dont est victime Marina agit comme un harcèlement. Toute dans la mise en scène de Gregório Graziosi conflue vers l’intranquillité. Le calme est suspect, la douceur est équivoque. Ainsi le film tend vers le thriller psychologique, quitte à parfois ne plus très bien maîtriser les eaux troubles sur lesquels flottent les fils de son récit. On peine aussi à comprendre les allusions à la culture japonaise (arbre à vœu, Kurosawa, méditation) semblant ouvrir de fausses pistes rapidement abandonnées.
Le graal du plongeur s’appelle le trou parfait : entrer dans l’eau en dessinant une minuscule ouverture avec les mains et faire passer le corps dedans, avec le minimum d’éclaboussure. Le plongeur optera pour une figure simple mais hyper maîtrisée ou plus audacieuse pour impressionner le jury.
Tinnitus oscille entre les deux, pas parfait mais avec beaucoup de style, notamment dans sa capacité, à l’image de sa dernière scène, à éprouver le conflit intérieur.
Bande-annonce
5 juillet 2023 – De Gregório Graziosi
avec Joana de Verona, Andre Guerreiro Lopes et Indira Nascimento