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TO KILL A MONGOLIAN HORSE

Au milieu des steppes hivernales, Saina s’occupe de son ranch pendant la journée et exécute des tours à cheval devant le public la nuit. Contrairement au majestueux cavalier qu’il incarne dans le jour, Saina découvre que sa vraie vie de berger est sur le point de se désintégrer.

Critique du film

Les cinémas nord-américains et européens ont beau représenter une immense majorité de la production cinématographique mondiale, il est aussi possible de découvrir de nouveaux regards venus de tous les horizons et tous les territoires. Ce constat ne signifie par pour autant que toutes ces histoires portent les voix des pays qu’ils sont censés représentés, et bien des long-métrages découvert dans les festivals ne sont que des produits édulcorés à destination de l’occident, sans langage ni vision propre qui permettraient de dégager une singularité et une surprise. Malgré cela, il faut bien constater une vivacité exceptionnelle au sein d’une génération née entre les années 1990 et le début des années 2000, qui porte de manière exceptionnelle une envie de créer de nouvelles formes avec des voix fortes et ambitieuses.

C’est le cas de Jiang Xiaoxuan, jeune réalisatrice mongole d’origine mandchoue, qui présente son premier long-métrage, To Kill a Mongolian Horse, titre qui résonne comme un programme des images tournées. Si seulement je pouvais hiberner de Zoljargal Purevdash avait eu les honneurs de la sélection officielle à Cannes en 2023, au sein de la compétition Un certain regard où il s’était fait remarqué par son aspect social et la rudesse de la vie d’une famille mongole. Cette caractéristique très marquée du cinéma d’auteur est également présente dans le film de Jiang Xiaoxuan. Elle nous y présente Saina, jeune père de famille séparé de son épouse, qui jongle entre plusieurs emplois pour faire vivre sa famille et payer les dettes de jeu de son père. En tant que tel le sujet est fort et témoigne d’une réalité entre modernité et respect des traditions de ces steppes orientales.

La grande vertu du film est de présenter plus que cette radiographie familiale, la réalisatrice multipliant les détails au coin des scènes, pour retranscrire au mieux toute la crise qui habite cette zone géographique. L’écart abyssal entre le spectacle auquel participe Saina, une peinture du glorieux passé, teinté de légendes, et le cynisme d’une société de consommation qui n’a comme seule obsession de ressembler au plus près à l’occident, est comme une gangrène qui ronge petit à petit le personnage. En effet, à coté de ses emplois en ville, il maintient une activité rurale, élevant des chevaux de manière traditionnelle, perpétuant un lien avec la nature remise en question par l’urbanisation et l’exploitation des sols de la région par des entrepreneurs cupides.


On retrouve ici une préoccupation déjà narrée par Li Ruijun dans Le retour des hirondelles, la disparition d’une culture et d’un mode de vie au profit de l’agrandissement des villes et de la recherche d’un profit immédiat. Le portrait que fait la cinéaste est éloquent en cela qu’ici ce n’est pas le plus âgé qui protège un certain art de vivre, mais un trentenaire attaché à une vie qui est la seule qu’il connaît et a du sens pour lui. Jiang Xiaoxuan réussit à construire un rythme et un propos singuliers, dans une mise en scène limpide qui se permet des pas de côté formels assez stupéfiants. Elle ne tombe pas dans le piège d’un cinéma trop brut et sec qui en oublierait de créer des textures et une forme ambitieuse. Par séquence, on pense même au Eo de Jerzy Skolimowski, dans une splendeur chromatique qui orchestre un ballet de lumière et de couleur très surprenant.

Jusque dans son final, ni doloriste ni trop édulcoré, la réalisatrice parvient encore une fois à surprendre, dans une bravade magnifique où le cheval du titre permet au personnage principal un dernier moment de gloire. Ni grandiloquent, ni porteur de solution, cette scène se permet un trait d’humour et d’audace, dans une confrontation des deux univers décrits dans le film qui se rejoigne grâce au trait d’union représenté par l’animal, ce fier destrier que Saina ne veut pas abandonner. Gageons que cette magnifique découverte va permettre à une autrice prometteuse de confirmer tout le talent qui regorge du film.


De Jiang Xiaoxuan, avec Saina, Tonggalag et Undus.


Mostra de Venise 2024