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TOUBIB

Bac en poche, Angel, 18 ans, choisit de « faire médecine ». Antoine, son frère réalisateur, décide de suivre son parcours, et se lance dans un film qui durera douze ans. Douze ans d’apprentissage, du marathon d’examens aux premières consultations, de l’adrénaline des stages en hôpitaux aux méditations solitaires d’un jeune médecin de campagne. Douze ans de vie ponctués de remises en question et de prises de conscience, qui conduiront Angel à s’engager en faveur d’une médecine sociale. Trajectoire singulière sur fond de pandémie, Toubib est un voyage au cœur de notre « état de santé » : ce qui nous lie à la vie, à la mort.

Critique du film

La famille, la médecine et surtout le temps sont au coeur de ce drôle de projet que les frères Page ont déroulé pendant plus d’une décennie. Chronologique et elliptique, le film qui en résulte constitue, en pointillés, un portrait attachant et frustrant. Sous nos yeux, un homme apparaît, un médecin se révèle mais paradoxalement, ce cinéma du temps long ouvre la porte à nombre de raccourcis.

On est sérieux quand on a 17 ans

Au début était le serment d’Antoine, aîné des frères Page, cinéaste : filmer sur la durée de son cursus universitaire son frère Angel qui, à 17 ans, s’inscrit en médecine avec Hippocrate pour horizon. Adepte d’un cinéma documentaire sans écriture préalable, Antoine Page fait confiance à la vie, au temps, à sa patience. Chapitré selon les cycles d’étude, le film alterne moments clés (examens, résultats) et réflexions livrées face caméra où Angel expose impressions et doutes. Dans un premier temps, Angel semble participer du bout des lèvres, accaparé par la charge de travail. Il faut dire que les premières années de médecine ne sont pas des plus exaltantes : apprendre par coeur, régurgiter, recommencer… ad libitum.

Les années passent, Angel change de physionomie au gré des saisons et des variations de longueur des cheveux et de la barbe. Il prend, au fil de temps, davantage conscience de la caméra et s’autorise un langage corporel (moues, grimaces, silences éloquents) qui prolonge la complicité entre les deux frères jusqu’au spectateur. Les tics de langage s’estompent (toutes les phrases ponctuées par le pronom quoi dans les premières années), le sourire se fait aussi plus rare et l’apparition des lunettes contribue à rendre son visage moins juvénile, quelque part entre Pierre Niney et Pio Marmaï. Angel choisit de faire sa 3e année en Erasmus à Sofia. Antoine s’adapte et incorpore des messages vidéo qui font évoluer le dispositif vers le journal intime. L’éloignement et l’isolement poussent l’étudiant à davantage de confidences. Il évoque ainsi la figure du père, également médecin généraliste, tôt disparu lorsqu’Angel avait 11 ans.

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Saute-mouton

Par touches successives, le portrait s’affine et l’empathie augmente. La vision qu’Angel porte sur l’exercice de la médecine s’affine également. C’est peut-être le fil rouge le plus intéressant et le plus frustrant. Aux formules lapidaires (« la médecine c’est pas compliqué, il faut des connaissances et une bonne observation ») succèdent les moments de doute, la dure loi de la pratique et le mur de la réalité. Angel n’est pourtant pas à court d’idées pour faire évoluer son métier. Il trouve la figure du médecin de famille un peu désuète et prônerait volontiers des cabinets tournants qui auraient le mérite de répondre au problème des déserts médicaux. Autant le film parvient à dessiner une trajectoire, autant, à force de vouloir boucler son arc temporel en moins de deux heures, il finit par beaucoup jouer à saute-mouton.

De Besançon aux Cévennes, de Sofia à Marseille, la sensation du survol gagne et le sentiment de la superficialité s’installe. On aurait aimé, par exemple, prendre davantage de temps pour connaître et comprendre le fonctionnement du Chateau en santé, cette structure associative qui délivre une médecine sociale et de proximité à destination de quartiers de Marseille parmi les plus défavorisés où Angel finit par se poser. De même que le commerce qu’entretien Angel avec la mort paraît trop esquissé et laisse des regrets. Le format sériel aurait sans doute mieux convenu à ce projet hors norme.

Toubib ressemble à ces plats longtemps mijotés dont les ingrédients ont trop réduit sous le feu. C’est d’autant plus dommage que le fumet reste fort séduisant.

Bande-annonce

28 août 2024 – De Antoine Page


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