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TOWELHEAD

Prévu initialement pour Novembre 2008, le premier film de Alan Ball en tant que réalisateur a été reporté deux fois en l’espace que quelques semaines et ne devrait finalement sortir sur nos écrans qu’en Juillet 2009. Déjà long à prendre forme et à aboutir, le projet de Alan Ball, génial auteur de Six Feet Under et American Beauty, se faisait attendre. Ma patience a été mise à rude épreuve, si bien que j’ai finalement craqué et décidé de me le procurer en dvd import, afin de pouvoir enfin le découvrir et partager avec vous – pour ceux que ça intéresse – mon point de vue sur cette première réalisation sur grand écran.

« L’intelligence c’est d’être capable d’avoir deux avis divergents en même temps ». Voilà une remarque que fait le père de Jasira à sa fille, dans un contexte assez comique du film. Voilà une remarque qui tombe bien, puisque Towelheadsuscite chez moi différentes réactions. D’un certain point de vue, on peut être perturbé par le résultat final de ce premier film. Je le mettrais sur le compte des quarante-cinq premières minutes, lors desquelles il est difficile de percevoir le véritable ton du film : provoc’, humour noir, caricature ? Les traits des personnages apparaissent grossièrement tirés et l’on se demande parfois si Alan Ball se joue des stéréotypes ou s’il a un peu bâclé le début du bouquin au moment de l’adapter. On est donc surpris par le manque de subtilité – autant de jeu que d’écriture – de certaines scènes du premier tiers du film. On se demande alors si l’on n’est pas devant un énième film indépendant calibré sundance (mélangeant provoc’ et bonnes intentions) plutôt que le premier film d’un scénariste oscarisé et réalisateur emmy-awardisé.

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Alan Ball, comme un bon moteur diesel qui se jouerait des stéréotypes ?

À l’image de la nouvelle série dont il tient les rênes, True Blood, (après le pilote, on pouvait rester sceptique face à ce panorama de personnages clichés au départ, mais la suite nous a grandement rassuré au point de nous offrir quelques passages jouissifs), ou à moindre mesure de Six Feet Under qui a eu besoin d’une bonne saison et demie pour prendre toute son envergure – et sa splendeur – on peut s’interroger sur le fait que l’auteur-réalisateur semble avoir besoin d’un certain temps avant de faire réellement parler son art.

Car en effet, et heureusement, la suite est d’un tout autre niveau et bien plus à la hauteur de la réputation de Alan Ball. On sent beaucoup plus de finesse dans l’écriture, d’ambiguïté et d’ambivalence chez les personnages, ainsi que ce rythme et cette ambiance, si familière et prenante, que l’on reconnaît enfin la patte de celui qui nous a accompagné lors de cinq années de Six Feet Under. Il serait d’ailleurs utile de signaler que, si on le savait déjà doté d’une plume exceptionnelle, il se révèle être un remarquable réalisateur, tant au niveau des choix de mise en scène, que des cadrages et des mouvements de caméras mais aussi de la gestion du rythme. Ajoutons également que la superbe photographie de Newton Thomas Sigel vient combler le plaisir visuel du spectateur ou encore la musique composée par le fidèle Thomas Newman qui ajoute un certain piment à quelques scènes cruciales.

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Jasira, naïve et innocente victime ou nymphomane en devenir ?

Perdue entre une éducation aux préceptes stricts et des désirs de plus en plus envahissants, Jasira envoie des signaux sexuels aussi bien à son camarade de classe black qu’à son voisin Mr Vuoso. Derrière la naïveté évidente de la jeune fille, on ne peut s’empêcher de la percevoir aussi comme une Lolita des temps modernes. Elle ne contrôle pas ses pulsions et ne semble pas vraiment savoir ce qu’elle veut véritablement. Baignant dans un univers hostile, strict ou narcissique où, considérée comme une rivale par sa blonde et futile mère (campée par la cruche Maria Bello, du coup, parfaite pour le rôle), et comme un obstacle par son père, elle ne trouve pas de place pour s’épanouir et découvrir la jeune femme qu’elle est en train de devenir. Elle fait finalement le choix douteux et dérangeant d’attirer l’attention des hommes, de son âge ou pas, en usant de sa sensualité naissante – parfois à outrance – mais cela va se révéler inquiétant et parfois assez insoutenable, tant pour elle que pour le spectateur.

Towelhead perturbe car de par son traitement, il semble « refuser d’émettre un quelconque jugement de valeur vis-à-vis des différents choix et actions des personnages.  La morale voudrait que Jasira soit présentée comme l’enfant tristement victime » et Monsieur Vuoso comme le traitre inhumain qui profite d’une enfant, ce n’est pas le cas. Chaque personnage a ses défauts et ses failles – souvent révoltantes – et le film évite le schéma commun du manichéisme hollywoodien. Chaque spectateur devra juger ce qu’il voit et en penser ce qu’il souhaite.

Enfin, saluons la prestation irréprochable des acteurs, à commencer par  la jeune Summer Bishil qui tient bien le film du haut de ses dix-huit ans, secondée par l’excellent Peter MacDissi – les fans de Six Feet Under le reconnaîtront, ou pas – et le solide Aaron Eckhart. Toni Colette, plus discrète et toute mignonne avec son ventre rond, est impeccable en voisine attentionnée (bien qu’un peu intrusive) et protectrice.

Subversif, oppressant, émouvant, transgressif, soigné, Towelhead ou Nothing is private – c’est comme vous préfèrerez – est un film riche, peu commun et dérangeant. Mais lorsqu’on aime un artiste, on est souvent exigeant et l’on attend toujours plus de sa part. Connaissant le potentiel de Alan Ball, on espère voir un film plus abouti dans les années à venir et plus personnel – non pas que celui-ci ne l’est point, puisqu’on reconnaîtra aisément ses thématiques favorites – en espérant qu’il se débarrasse d’ici là de ses petits ratés au démarrage et qu’il continue à  dépeindre l’Amérique et à se jouer de ses déviances comme il le fait parfois si bien.

ALAN BALL | USA | 124 MIN | 2007 | SUMMER BISHIL, MARIA BELLO, AARON ECKHART, TONI COLETTE



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