TRAVAIL AU NOIR
Trois maçons polonais et leur contremaître, Novak, viennent à Londres pour retaper un appartement sans être déclarés. Novak, autoritaire, est le seul à parler anglais. Lorsqu’il prend connaissance du coup d’État en Pologne, il tait la nouvelle à ses compatriotes…
CRITIQUE DU FILM
Électron libre du cinéma européen, le réalisateur polonais Jerzy Skolimowski, né en 1938, a créé l’événement l’année passée avec son dernier film EO, présenté en compétition officielle au Festival de Cannes et nominé aux Oscars dans la catégorie meilleur film international. Cette reconnaissance ainsi que les nombreux prix remportés par le film couronnent une carrière tumultueuse placée sous le sceau de l’exigence et du refus du compromis. Suite à l’interdiction par la censure de son Haut les mains en 1967, Skolimowski décide de ne plus tourner en Pologne et entame un long exil qui le mènera en Angleterre et plus tard aux États-Unis, avant de rentrer au pays en 1991 puis d’interrompre sa carrière de cinéaste pendant dix-sept ans afin se consacrer à la peinture.
C’est à Londres en 1982 qu’il tourne ce Travail au noir (Moonlighting), récit d’un exil opportuniste qui voit quatre ouvriers polonais envoyés dans la capitale anglaise pour rénover l’appartement d’un commanditaire restant dans l’ombre. Leur chef, Novak, joué par un Jeremy Irons tout à fait crédible dans le rôle d’un Polonais, tente de gérer cette affaire du mieux possible malgré l’hostilité des voisins, les conditions de travail plus que précaires, et surtout la déclaration de loi martiale en Pologne par le général Wojciech Jaruzelski dans la nuit du 12 au 13 décembre 1981. Afin de ne pas saper le moral de ses ouvriers et de permettre au chantier d’être terminé dans les temps, Novak décide de leur cacher la vérité, dans un geste à la fois clément et irresponsable.
Travail au noir est une fiction à la saveur d’un documentaire. Le film nous plonge d’abord dans un ville sale, pauvre et inhospitalière, où les effets de la récession économique se font fortement sentir. Dans cette précarité, les Polonais s’étonnent de trouver du Coca Cola au supermarché du coin, mais ne profitent en rien de la vie en dehors du bloc communiste. Ils sont là pour être exploités et leur seul lot de consolation sera l’achat d’une montre. À ce cynisme du scénario s’ajoute grâce à la mise en scène l’empathie pour le personnage de Novak, auquel Jeremy Irons donne toute sa fragilité et ses contradictions, et que la caméra ne quitte pas un instant. Un homme à qui on a confié une mission et qui fait tout pour la mener à bien, déployant au passage des trésors d’ingénuité.
L’utilisation inventive de la musique, composée par Stanley Myers avec un débutant alors inconnu du nom de Hans Zimmer, notamment l’utilisation d’un drone – une note suspendue faisant penser à un bourdon – accentue la sensation de malaise.
Loin de son pays, Skolimowski trouve indirectement un moyen pour évoquer la crise politique en cours tout en brossant un portrait implacable de la soumission. Voir Novak arracher les affiches de la fédération de syndicats polonais Solidarność pour que ses compatriotes ne les voient pas en dit long sur la démarche de cet artiste libre qui, en 1968, ne voulait pas s’engager politiquement, déclarant à l’époque « laisser la politique aux politiciens ».
Malgré cette désinvolture apparente – ou peut-être grâce à elle – Travail au noir n’en reste pas moins une œuvre âpre et sans concession dans laquelle l’oppression et le peur liées à l’exil étouffent au point de laisser en nous une empreinte indélébile. Le film a reçu le prix du scénario à Cannes en 1982.