TU MOURRAS À 20 ANS
Soudan, province d’Aljazira, de nos jours. Peu après la naissance de Muzamil, le chef religieux du village prédit qu’il mourra à 20 ans. Le père de l’enfant ne peut pas supporter le poids de cette malédiction et s’enfuit. Sakina élève alors seule son fils, le couvant de toutes ses attentions. Un jour, Muzamil a 19 ans…
Critique du film
Avec Tu mourras à 20 ans, Amjad Abu Alala signe un beau film sur le poids de la religion et la quête vitale de liberté sans toutefois réussir pleinement à décoller de l’allégorie morale.
Avant toute appréciation il faut saluer ce film comme un véritable événement. C’est seulement la 8e production de fiction de toute l’histoire cinématographique du Soudan dont on sait, notamment depuis le récent et formidable documentaire Talking About Trees, qu’elle a été muselée pendant trente ans par la dictature el-Bechir. Comme les grands anciens filmés par Suhaib Gasmelbari, Abu Alala est revenu au pays pour son premier long métrage. Né à Dubaï, il n’a vécu que cinq ans au Soudan, le temps de l’adolescence, avant l’exil vers les Émirats Arabes Unis où il vit encore. Il adapte ici une nouvelle de l’auteur soudanais, exilé en Egypte après avoir été menacé de mort, Hammour Ziada dont on attend encore une première traduction en français.
Il est donc possible de vivre, en 2020, les balbutiements d’une cinématographie nationale !
Compte à rebours infernal
Le titre du film fait office de prophétie. Une première ellipse et Muzamil subit les brimades de ses camarades. Il ne trouve qu’un seul refuge, l’école coranique, et ne croise qu’un seul regard amical, celui de Naima, attirée par sa singularité. Comment grandir quand on est surnommé «fils de la mort», que l’on pousse à l’ombre d’une destinée tragique, que l’on affronte la vie de biais, réfugié dans un formol aquoiboniste ? Personne ne songe à remettre en cause la voix de l’Imam. Le père, déjà traumatisé par la noyade d’un frère, choisit de fuir, laissant son épouse Sakina s’occuper seule de ce «fardeau». Une seconde ellipse et voici Muzamil devenu jeune homme, taciturne et solitaire. Les sentiments de Naima se font plus précis, plus pressants mais il ne s’autorise aucun élan. Les pulsions de vie, dont la belle lumière du Nil bleu devrait être témoin, ont été tuées dans l’oeuf.
Au service de l’épicier, une course le conduit un jour vers Suleiman, homme mystérieux auprès duquel une autre réalité commence à apparaître. Le film trouve alors, un peu tardivement, une tension dans laquelle engager son récit. Suleiman a mauvaise réputation au village, il a beaucoup voyagé, s’est affranchi des carcans, il fume et boit sans vergogne. Et il possède, héritage de son père, une caméra, un projecteur et de vieilles pellicules. Le cinéma, fenêtre magique, où s’animent les silhouettes d’un monde inconcevable. Mais l’anniversaire approche et les derviches s’en reviennent…
Si le film ne réussit pas toujours habilement à faire coexister une trame de fond ethnographique et un récit symbolique, il parvient tout de même à décrire une société ligotée par la seule morale religieuse complice du pouvoir dictatorial. Il y a de jolies trouvailles, comme cette grotte aux murs de laquelle Sakina, prisonnière d’une croyance, inscrit les bâtonnets d’un compte à rebours infernal. On pense aussi à ce très beau plan de piéta ou à cette timide incursion vers le fantastique lorsque, par un effet de dédoublement, Muzamil enfant se penche, miséricordieux, sur le corps inerte de Muzamil vingtenaire.
Il serait bien déplacé de jeter sur ce film un regard occidental de surplomb. Pour nous en convaincre relisons Annie Ernaux qui, dans Les Années, se souvient des années 50 en France avec ces mots : «La religion était le cadre officiel de la vie et réglait le temps (…) La religion seule était à la source de la morale, conférait la dignité humaine sans laquelle la vie ressemblait à celle des chiens».
Une première révolution a eu lieu au Soudan, pays où le chemin de la liberté est encore long. La dernière scène du film, soutenue par le magnifique thème musical de Amine Bouhafa, ouvre la voie vers un avenir incertain mais rempli d’espoir. Un condamné à mort s’est échappé.
Bande-annonce
12 février 2020 – De Amjad Abu Alala, avec Mustafa Shehata, Islam Mubarak