UN RACCOURCI DANS LE TEMPS
Comme la plupart des collégiens, Meg Murry manque d’assurance et tente de trouver sa place. Très intelligente (ses parents sont des scientifiques mondialement connus), elle possède – tout comme son petit frère Charles Wallace – un don rare qu’elle ne n’a pas encore exploité. La disparition inexpliquée de son père va l’amener à faire la connaissance de trois guides – Mme Quidam, Mme Qui, Mme Quiproquo– venues sur Terre pour l’aider à le retrouver. Accompagnés de Calvin, un camarade de classe, ils trouvent au cours de leur quête un raccourci spatiotemporel les entraînant vers des mondes insoupçonnés sur lesquels règne un personnage maléfique…
Saturation galactique.
Des superhéros aux adaptations de ses dessins animés en passant par ses films originaux, la ligne éditoriale actuelle de Disney est claire et tient en deux mots : égalité et tolérance. C’est probablement ce qui en 2016 justifie le choix de Ana DuVernay à la réalisation. Elle devient à cette occasion la première réalisatrice afro-américaine à se voir dotée d’un budget de plus de 100M$. Présenté ainsi, il eut été idéal que ce moment historique soit marqué d’une réussite. Malheureusement, force est de constater qu’il en est tout autrement. Retour sur un accident industriel.
Les projets risqués de Disney ont souvent un accueil mitigé. Pourtant nombre d’entre eux sont loin d’être déméritants – que ce soit The Lone Ranger, Tron, Tomorrowland ou encore John Carter. Tous proposent une vision propre. The Lone Ranger rend un hommage débonnaire au Western saupoudré d’une dynamique aventurière à la Pirates des caraïbes. Tron se montre efficace dans son ambiance, sa BO et ses visuels. Tomorrowland est un tour de haute voltige entre space-opera et artefact retro. John Carter, enfin, est empreint d’un premier degré salutaire dans un spectacle familial 90’s où le cynisme ne siège pas. Ces films montrent chacun à leur manière que le problème d’Un raccourci dans le temps ne tient pas dans sa volonté de transmettre un message simple et bienveillant ni dans sa tentative de dépayser ou d’émerveiller son spectateur. Il est simpliste de reprocher à Disney de faire « du Disney ». Il serait plus avisé de pointer un problème de cohérence générale. Là où ses prédécesseurs transmettent une vision de cinéma plus ou moins maladroit, mais pleins de panache, le dernier né d’Ava DuVernay dysfonctionne dans tout ce qu’il entreprend.
Cas d’école
Un raccourci dans le temps est un cas d’école. À une réalisation si lisse que l’on pourrait penser qu’un « yes-man » se cache derrière la caméra répond un « listing » effrayant : récit incohérent, explication scientifique de la « compraction » expédiée, construction empathique impossible due à une narration en roue libre, démagogie surlignée jusqu’à l’overdose, jeunes acteurs mal dirigés, direction artistique sous perfusion, fonds vert criards…
La trame d’Un raccourci dans le temps est pourtant simple et ne manque pas de nous renvoyer vers une galaxie lointaine, très lointaine. C’est le combat du bien contre le mal, de la lumière contre l’obscurité. L’histoire d’une humanité en proie à une société malade. L’enchaînement maladroit de citations connues et de psychologie de comptoir sert de cache-misère à une écriture en perdition. Pourrions-nous alors faire preuve d’indulgence au regard du roman réputé inadaptable ? La BO sans rapport avec le matériau cinématographique et qui enchaîne les sons calibrés ne nous en donne pas l’envie. DuVernay semble définitivement dépassée par une entreprise trop grande pour elle. Après quelques temps, le désarroi laisse place au sourire lorsqu’on comprend que le récit est empreint du mal qu’il dénonce. Il est aussi obscur que son antagoniste.
Le laid tue
Les enfants décrocheront perdus devant ce labyrinthe de flash-back mal positionnés et se questionneront légitimement sur ce qu’est la « compraction ». Les adultes, si le sommeil ne les terrasse pas avant, lâcheront quelques sourires moqueurs. Les plus effrontés auront besoin de leur main… pour frapper leur front d’une délicate claque, traduisant un désespoir profond. Opération qui pourra être réitérée si besoin, toutes les 5 minutes, pour maintenir l’éveil. D’autant qu’il serait bien dommage de manquer LE moment de malaise de l’année quand Reese Witherspoon se change en laitue pour transporter nos jeunes héros, tel le tapis volant d’Aladdin, puis que l’un d’eux caresse la joue d’une Oprah Winfrey de 30 mètres de haut. À elle seule, cette séquence est symptomatique de l’ensemble du métrage où il devient vital d’arrêter de chercher toute trace de logique.
Au final, c’est quand il fait preuve d’un certain minimalisme que le film relève ponctuellement la tête. Deux scènes distinctes en attestent : l’une dans une banlieue psychédélique à l’ambiance malsaine et efficace ; l’autre lors des retrouvailles entre le père et sa fille dans un espace hors du temps.
Mais cet effort est bien infime face à l’ampleur du naufrage. À l’écran, le produit fini est tellement catastrophique que l’on se demande, non sans une pointe de cynisme, où a bien pu passer le budget colossal. Au détour de la saturation qui emplit l’iris d’un filet de sang vert, il faut se résigner à l’évidence : la drogue ça coûte cher et ça fait des ravages.
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