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UNCUT GEMS

New York, 2012. Howard Ratner (Adam Sandler), propriétaire d’une bijouterie située dans le Diamond District, espère éponger ses nombreuses dettes après l’acquisition d’une opale pure (non taillée) venant tout droit d’Ethiopie. Mais son addiction au jeu lui fait prendre de nombreux risques, revendant et pariant à tout va ce que ses clients lui prêtent. Son beau-frère Arno (Eric Bogosian), à qui il a emprunté une forte somme, finit par perdre patience, et n’hésite pas à « muscler » ses avertissements…

Critique du film

Howard Ratner a un « système », et nous en comprenons rapidement les rouages. Comme un symbole, nous quittons l’exploration coloscopique de son colon au début du film, pour le suivre ensuite dans les tréfonds de la quarante-septième rue, où les diamantaires abondent et où les prêteurs sur gage pèsent l’or à tout va. Il marche vite, le téléphone à la main, jouant de son incroyable gouaille pour tempérer un interlocuteur apparemment exaspéré. La tension de Uncut gems est déjà là, et les frères Safdie ne la feront jamais retomber. 

En jouant la montre à chaque instant, en pariant sur l’exaspération de ses « collaborateurs » afin de tenter des coups encore plus gros, en empruntant à l’un pour rembourser l’autre, Howard donne le ton et le rythme du métrage dont il est le héros. La cartographie intime de New York se double alors d’une énergie aussi frénétique qu’épuisante, dont la célébration se traduit par une nervosité visuelle qui rend compte de l’expérience physique et spirituelle du personnage.

On pense alors au Scorsese du début des années 90, notamment au travers du lien intime entre l’élévation et l’autodestruction du personnage principal. Accro au risque, Howard ne peut s’empêcher de se mettre en danger, et se permet de provoquer la grande faucheuse en lui retournant un sourire bovin. Sa vie est une course à la mort, une machine à suspens qui nous amène à croire avec lui, même s’il nous est parfois profondément antipathique. La tension est partagée par tous, et Howard en est le centre névralgique.

« This is me. This is how I win »

On ressent alors l’euphorie d’un événement sportif, et en l’occurence ici, celle d’un match de playoffs NBA. L’adrénaline nous fait tout oublier, et notre espace-temps (qui est aussi celui d’Howard) met le danger de côté, pour jouir de l’énergie suprême de la gagne. Certains parlerons de hasard, d’autre invoquerons des forces supérieurs, à l’image de Kevin Garnett, l’intérieur des Boston Celtics, qui projette dans l’opale chérie par Howard la clé de sa réussite. On pourrait rêver comme lui, mais le film a l’intelligence de nous montrer l’origine de cette pierre tant convoitée, au travers d’un surprenant prologue éthiopien.

Uncut gems sandler
En effet, le cinéma des Safdie quitte rarement New York, mais nous permet de comprendre ici que la valeur que projette les personnages sur l’opale relève toujours déjà d’un égoïsme futile, totalement déconnecté du coût humain nécessaire à son extraction. Dès lors, le film nous invite à partager l’euphorie de son personnage, tout en nous faisant prendre conscience dès le départ que celle-ci est pourrie à la racine, tributaire d’un commerce de l’égoïsme aussi fascinant qu’abject.

Darius Khondji a parfaitement su s’adapter à cette dynamique, troquant ses éblouissantes installations en plans larges contre une longue focale presque systématique, doublée d’une image très contrastée où zooms et très gros plans anamorphiques abondent. Tout oppresse et scintille à la fois, si bien que le film réinvente littéralement la grammaire visuelle de son propre chef opérateur.

Soulignons enfin l’immense prestation d’Adam Sandler, qui dans son corps, son regard, sa voix et son phrasé, concentre tous les enjeux du film, faisant se côtoyer la stupidité et le génie, la force et la faiblesse, la tendresse et l’égoïsme, la vie et la mort. Tout à coup, son regard vide est habité d’une profondeur insoupçonnée, son sourire niais laisse entrevoir la peur ou la colère, et son corps un peu rond une énergie insatiable.

Uncut Gems peut déjà être considéré comme un sommet de l’année 2020, réinvestissant la fureur du cinéma américain des années 80 et 90 au travers d’un thriller contemporain passionnant, dont l’énergie haletante imprègne le corps et l’esprit longtemps après visionnage.

Bande-annonce

31 janvier 2020 (Netflix) – Réalisé par les frères Safdie, avec Adam Sandler