UNE HISTOIRE D’AMOUR ET DE DÉSIR
Critique du film
Amin Maalouf en était persuadé, “l’amour se nourrit autant de patience que de désir.” Et jamais encore, dans sa beauté comme dans sa complexité, la pensée subtile de l’Académicien n’aura trouvé plus belle résonance que dans le film de Leyla Bouzid présenté en clôture de la Semaine de la Critique 2021.
Toujours emprunt de l’attachement vibrant que la réalisatrice porte à sa Tunisie natale, ce second long-métrage n’est pas sans rappeler le premier, A peine j’ouvre les yeux, qui voyait déjà un beau personnage féminin apprendre à des regards par trop conservateurs comment voir le monde avec le coeur, colorant le leur de sa personnalité aux nuances aussi vives que multiples, fleur éclose durant cette saison si particulière que les historiens auront par la suite baptisée Printemps. Avec la même intelligence, doublée d’une sensualité filée au long des plus beaux poèmes érotiques arabes, Une histoire d’amour et de désir fait ici se croiser les routes d’Ahmed et Farah alors que tous deux débutent un cursus en littérature. Le jeune homme, fils d’immigrés Algériens et élevé dans une cité, va très vite se retrouver autant confronté à la nouveauté d’une prose inattendue qu’à la personnalité ardente de cette jeune fille ayant grandi dans la flamboyante Petite Perle du Maghreb, initiant un progressif conflit interne entre résister à ce qu’il craint comme une tentation avilissante, et s’abandonner à ce qu’il espère comme un bonheur infini.
Adoptant le point de vue d’Ahmed, qui tout au long du récit, s’émancipe petit à petit des idées préconçues sur ce qui fait la beauté du mot ou de l’amour, la caméra passe graduellement des plans serrés aux plans plus larges, jouant des contre champs pour retranscrire le jeu des regards lancés à la dérobée. Entre éclat et retenue, à l’image des envies auxquelles Ahmed tantôt s’adonne, tantôt se refuse, la réalisation réussit la superposition délicate entre montrer ce qui se passe de mots, tout en rythmant son propos non par des coupes brusques mais par le langoureux phrasé si particulier au genre littéraire que les deux personnages étudient.
PRENDS MOI LA MAIN AVEC LES MOTS, ET JE T’ÉCRIRAI LA VOIE
Présente autant derrière que devant la caméra, la poésie est en effet de tous les instants sans jamais les alourdir, reliant les personnages entre eux avec une étonnante fluidité. Portée par la superbe performance de Sami Outalbali et de Zbeida Belhajamor, formidables de justesse, l’histoire entre Ahmed et Farah révèle avec une fraîcheur désarmante combien l’amour des coeurs et le désir des corps, loin d’être antinomiques, se complètent naturellement et nécessairement – en opposition frontale aux discours faussement prudes sur la noblesse des sentiments, prônant les non-dits à l’expression franche de ce que l’on ressent par inconstance ou pire, honte de ce qui nous fait vibrer.
À travers l’exploration de la sensualité de deux jeunes êtres, Leyla Bouzid pousse la réflexion plus loin encore par le biais de l’initiation à une oeuvre ignorée, et parfois incomprise – posant sur une génération issue de l’immigration mais non arabophone un regard d’une grande douceur, notamment dans deux scènes se répondant parfaitement. Tandis que la première voit Farah sourire à Ahmed dans un moment de complicité, affirmant que pour elle lire en arabe de droite à gauche, “c’est toujours à l’endroit” – là où pour lui, le sens de lecture normal se fait de gauche à droite, la seconde montre Ahmed demander à son père de lui traduire une lettre rédigée par la jeune fille – métaphore du coffre secret de son coeur dont il n’aura la clef que lorsqu’il aura accepté de ne faire qu’un avec d’une part l’acceptation de là d’où il vient, et d’autre part de là où il souhaite aller.
A l’image de la sobriété complexe de son titre, d’une sensualité exquise doublée d’une grâce infinie sur grand écran, Une histoire d’amour et de désir de Leyla Bouzid raconte aussi simplement que finement autant l’éveil des sens et du premier émoi que l’appréhension de l’identité.
Bande-annonce
1er septembre 2021 – De Leyla Bouzid, avec Sami Outalbali, Zbeida Belhajamor
Cannes 2021 – Quinzaine des Réalisateurs